(New York) La procureure du comté de Fulton, Fani Willis, pourra continuer à piloter le procès de Donald Trump en Géorgie, puisque Nathan Wade, son ex-amoureux, a décidé de se retirer du dossier en tant que procureur spécial. Cette démission fait suite à un ultimatum présenté vendredi matin par le juge chargé du procès en réponse à une requête formulée par l’ancien président et d’autres coaccusés, qui cherchaient à obtenir la disqualification de la procureure. Si Nathan Wade n’avait pas démissionné, Fani Willis aurait été disqualifiée.

S’agit-il d’une victoire nette pour Fani Willis ?

Loin de là. Dans sa décision de 23 pages, le juge Scott McAfee déplore l’« énorme manque de jugement » et le « manque de professionnalisme » de Fani Willis. Il faisait allusion non seulement à la décision de la procureure de nouer une relation amoureuse avec Nathan Wade, mais également à son témoignage lors d’une audience probatoire où elle a haussé le ton et pris à partie les avocats de la défense.

Ces derniers affirmaient que Fani Willis s’était placée dans une situation de conflit d’intérêts en embauchant son amoureux, auquel son bureau a versé des émoluments dépassant 650 000 $ depuis le 1er novembre 2021. Le juge McAfee a conclu que les avocats de la défense n’avaient pas réussi à prouver leurs allégations.

Mais le débat autour de la vie amoureuse de la procureure, lancé le 8 janvier dernier par l’avocate d’un des coaccusés de Donald Trump, a détourné l’attention du public des efforts de l’ancien président et de ses alliés pour changer les résultats de l’élection présidentielle de 2020 en Géorgie.

« Bien entendu, le jury sera composé de personnes qui ont entendu parler de la vie amoureuse de Fani Willis parce que les médias en ont fait leurs choux gras », explique Richard Painter, professeur de droit à l’Université du Minnesota et ancien conseiller juridique de la Maison-Blanche sous George W. Bush.

« Il sera presque impossible de constituer un jury qui ne soit pas au courant. L’affaire pourrait donc en pâtir. C’est ce qui me préoccupe. Et c’est pourquoi j’ai écrit un article dans The Atlantic où je suggère que Fani Willis se retire volontairement du dossier pour essayer d’atténuer les dommages, afin d’éviter que les jurés ne bavardent sur sa vie amoureuse dans la salle des délibérations au lieu de se concentrer sur le fond de l’affaire. »

La décision du juge McAfee met-elle fin à cet épisode ?

Pas tout de suite. L’avocat de Donald Trump a déjà évoqué vendredi la possibilité d’en appeler de la décision du juge McAfee, ce dont personne ne s’étonnerait. Mais il appartiendra au juge de décider s’il peut interjeter appel immédiatement ou s’il doit attendre la fin du procès.

Une chose est certaine, selon Richard Painter : comme dans les autres procès criminels dont il fait l’objet, Donald Trump tentera de gagner du temps.

« Il va jouer le même jeu en Géorgie et essayer de faire traîner l’affaire devant les tribunaux et d’obtenir de la Cour supérieure de Géorgie qu’elle retarde l’affaire, le temps de décider si la procureure doit être disqualifiée. C’est une autre raison pour laquelle je pense que Fani Willis, si elle veut maximiser les chances de succès de cette affaire, devrait se retirer. Si elle se retire, la Cour d’appel de Géorgie pourrait dire qu’il n’y a plus de problème et que l’affaire doit être jugée », dit le professeur de droit.

Y a-t-il encore une chance que le procès de Donald Trump en Géorgie commence avant l’élection présidentielle de 2024 ?

Aucune date n’a encore été fixée pour le début du procès de Donald Trump et de ses coaccusés en Géorgie. En novembre dernier, Fani Willis a évoqué un procès de plusieurs mois qui prendrait fin après l’élection présidentielle de 2024, soit à la fin de 2024 ou au début de 2025.

Mais Anthony Michael Kreis, professeur de droit à l’Université d’État de Géorgie, estime aujourd’hui que cet échéancier ne correspond plus à la réalité.

« Je ne pense pas que le comté de Fulton ait la moindre chance d’avoir un procès avant l’élection », dit-il. Et d’ajouter, après une brève pause : « Je ne devrais pas dire impossible, mais c’est pratiquement impossible à ce stade. »

Or, si l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche peut lui permettre de mettre fin aux procès fédéraux le visant à Washington et en Floride, il n’en est pas de même pour ceux dont il fait l’objet à New York et en Géorgie.

Pour le moment, le procès de Donald Trump à New York en lien avec un versement de 130 000 $ à l’actrice porno Stormy Daniels est peut-être le seul qui aura lieu avant l’élection présidentielle. Son début, prévu le 25 mars, sera cependant retardé au moins jusqu’à la mi-avril pour permettre l’examen de documents reçus récemment et issus d’une précédente enquête fédérale sur la même affaire.

Quel effet aura l’autre décision importante rendue par le juge McAfee cette semaine, celle de rejeter six chefs d’accusation visant Donald Trump et ses 14 coaccusés ?

Un effet minime, selon Anthony Michael Kreis. « Les rejets n’étaient pas dus à un manque de preuves, mais simplement au fait que la théorie des crimes n’était pas clairement définie. Mais aucune des allégations les plus graves n’a été touchée », explique le professeur de droit.

Trois des six chefs d’accusation s’appliquaient à Donald Trump, qui devra répondre aux dix autres qui le concernent. L’un des chefs d’accusation était lié à l’appel téléphonique du 2 janvier 2021 au cours duquel Trump a demandé au secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, de lui trouver « 11 780 voix ».

Le juge McAfee a indiqué que sa décision ne mettait pas en cause les chefs d’accusation au cœur de l’affaire, soit ceux qui s’appuient sur la loi RICO de Géorgie sur les organisations motivées par le racket et la corruption. Donald Trump est accusé d’avoir dirigé une entreprise criminelle dont l’objectif consistait à inverser le résultat de l’élection présidentielle de 2020 en Géorgie.