(New York) Les mises en garde se multiplient aux États-Unis contre la montée d’un fascisme qui serait incarné par Donald Trump. La plupart du temps, elles occultent un détail historique important : les Américains se sont déjà pâmés pour le fascisme et son inventeur, Benito Mussolini, avec lequel l’ancien président républicain partage des similarités.

Ce rappel revêt un intérêt évident, ne serait-ce que pour relativiser toute comparaison inspirée par la rhétorique hitlérienne de Donald Trump sur les immigrants qui « empoisonnent le sang de notre pays ».

Le nazisme n’a jamais eu la cote aux États-Unis. À l’opposé, le fascisme incarné par Il Duce y a joui d’une large popularité dans les années 1920, comme le rappelle l’historienne Katy Hull, auteure d’un livre sur le sujet publié en 2021 et intitulé The Machine Has a Soul : American Sympathy With Italian Fascism.

Dans un échange récent de courriels avec La Presse, Katy Hull énumère plusieurs raisons pour expliquer ce phénomène, dont certaines contribuent, un siècle plus tard, à alimenter la popularité de Donald Trump auprès d’une partie importante de l’électorat.

Le trait commun le plus frappant [entre les deux époques] est le cynisme à l’égard de la démocratie.

Katy Hull, historienne et professeure d’histoire à l’Université d’Amsterdam

« Le sentiment que la démocratie n’était pas d’un grand secours pour les Américains ordinaires a encouragé les gens à chercher des solutions en dehors du modèle démocratique, y compris dans le fascisme. De même, aujourd’hui, le sentiment que le gouvernement fédéral est corrompu et intéressé […] incite les gens à s’ouvrir à des solutions de rechange sous la forme du populisme et de l’autoritarisme. »

Violence

Dans les années 1920, de nombreux Américains voyaient également le fascisme comme un rempart efficace contre le communisme en Italie, note Katy Hull. Les conservateurs louaient Mussolini pour avoir créé un environnement commercial stable pour les investisseurs américains. Les progressistes l’admiraient pour ses projets d’infrastructure et ses programmes sociaux pour les mères et les enfants. Les catholiques lui savaient gré d’avoir fait la paix avec le Vatican. Des politologues s’intéressaient à ses idées d’un État corporatif. Et les Italo-Américains avaient enfin un héros pour combattre les préjugés dont ils faisaient l’objet.

« Dans l’imaginaire de nombreux Américains nés aux États-Unis, l’Italie est passée de la terre du beau chaos avant le fascisme à une nation où Mussolini faisait en sorte que “les trains arrivent à l’heure” [comme le voulait le mythe populaire] », rappelle Katy Hull.

PHOTO, ARCHIVES L'ILLUSTRAZIONE ITALIANA

Italo Balbo, Benito Mussolini, Cesare Maria de Vecchi et Michele Bianchi à Naples, en octobre 1922

Très peu d’admirateurs de Mussolini se sont formalisés de la violence qui a accompagné sa conquête du pouvoir en 1922 lors de la marche sur Rome de ses faisceaux italiens, selon Katy Hull.

« Certains Américains ont nié l’existence de cette violence – tout comme aujourd’hui certains partisans de Trump minimisent l’ampleur de la violence lors de l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole. D’autres Américains considéraient la violence fasciste comme nécessaire pour vaincre le socialisme italien [nous pourrions peut-être établir un parallèle avec les personnes qui louent les Proud Boys pour avoir combattu les antifas]. En outre, certains Américains ont accueilli favorablement la violence fasciste en elle-même. »

Katy Hull donne l’exemple de la grande journaliste du New York Times Anne O’Hare McCormick et de l’ambassadeur des États-Unis en Italie Richard Washburn Child, qui occupent une place centrale dans son livre. « McCormick et Child pensaient que la société américaine du début des années 1920 devenait trop molle et trop facile, et qu’un peu de violence serait bénéfique pour l’esprit national », commente aujourd’hui la professeure et auteure.

« Étouffer les libertés »

Katy Hull n’est par ailleurs pas la première personne à voir des similarités entre Mussolini et Trump, notamment dans leur façon de bomber le torse et de lever le menton en s’adressant à la foule, « sorte de représentation exagérée de la masculinité – qui peut être impressionnante ou comique selon les yeux de celui qui la regarde », écrit-elle.

Et d’ajouter : « Je pense que nous devrions prendre ces performances au sérieux, dans le sens où, dans les deux cas, elles sont l’expression extérieure de régimes qui promulguent une vision binaire stricte entre le masculin et le féminin. Ce n’est pas une coïncidence si l’administration de Trump et l’Italie de Mussolini ont encouragé des politiques hostiles à la communauté LGBTQ et à la liberté de choix des femmes. La liberté de genre, la liberté sexuelle et la liberté de reproduction sont toutes des menaces pour une vision binaire du monde, et l’Italie de Mussolini ainsi que l’Amérique de Trump ont cherché à étouffer ces libertés. »

À l’instar de Mussolini, Trump mise aussi sur les rassemblements pour établir un lien direct avec « le peuple ». Et il encourage la violence « lorsqu’elle est commise dans [son] intérêt politique ».

Mais alors que Mussolini a institutionnalisé cette violence sous la forme des Chemises noires, Trump ne l’a pas fait – du moins pas officiellement.

Katy Hull, historienne et professeure d’histoire à l’Université d’Amsterdam

Les Américains ont fini par déchanter de Mussolini dans les années 1930. Figurent parmi les raisons de ce désenchantement le rapprochement de l’Italie avec l’Allemagne nazie, l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie en 1935 et les lois raciales de 1938 qui institutionnalisaient l’antisémitisme en Italie.

« Alors que les Américains se détournaient du fascisme italien pour ces raisons, ils se tournaient en même temps vers la démocratie en Amérique grâce au New Deal, écrit Katy Hull. [Le président Franklin Roosevelt] était tout à fait conscient qu’il devait créer un autre type de démocratie, qui se présentait comme une solution de rechange solide au fascisme et au socialisme. »

Lors de l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale en 1941, les supporteurs américains du fascisme ne formaient plus qu’une frange de la population. La question est aujourd’hui de savoir si les Américains sont à nouveau tentés par ce courant autoritaire.