(Washington) La Cour suprême américaine s’est confrontée lundi à un grave dilemme : approuver ou annuler un accord d’indemnisation de milliards de dollars par le laboratoire Purdue pour les victimes de la crise des opiacés, mais qui exonère la famille Sackler de toute future poursuite émanant de victimes.

Le département de la Justice reproche à cet accord, conclu en 2022 avec les 50 États américains et validé par une cour d’appel fédérale, de protéger la famille Sackler, propriétaire historique du laboratoire, de toute future poursuite, y compris de victimes qui n’y ont pas consenti.

Les Sackler sont accusés d’avoir promu de façon musclée pendant des années leur médicament antidouleur OxyContin tout en ayant connaissance de son caractère très addictif. La vente de ce produit leur a rapporté des dizaines de milliards de dollars.

La surprescription de cet opiacé est généralement considérée comme le déclencheur de la crise qui a fait plus d’un demi-million de victimes en 20 ans aux États-Unis.

Visé par une avalanche de poursuites, le laboratoire Purdue s’est déclaré en faillite en 2019 et négocie depuis un plan dont la dernière version prévoit sa fermeture d’ici 2024 aux États-Unis au profit d’une nouvelle entité et le paiement d’au moins 5,5 milliards de dollars sur 18 ans.

PHOTO JULIA NIKHINSON, THE NEW YORK TIMES

Manifestation devant la Cour suprême des États-Unis, le 4 décembre à Washington

« Sans rien »

Les neuf juges, qui ont suspendu cet accord en août à la demande du gouvernement, se sont montrés inhabituellement tiraillés, balançant entre le risque de compromettre l’indemnisation des victimes, et celui de reconnaître à une cour dans une affaire de faillite le droit d’immuniser les Sackler contre de futures poursuites.

Si le syndic de faillite du département de la Justice, qui conteste cet accord, « obtient gain de cause, les milliards de dollars prévus pour la prévention des opioïdes et l’indemnisation s’évaporeront et les créanciers et les victimes se retrouveront sans rien », a plaidé l’avocat du laboratoire, Gregory Garre.

Son confrère représentant les victimes ayant souscrit à l’accord, Pratik Shah, a également estimé « irresponsable de la part du syndic de faillite de suggérer qu’il y a une sorte d’alternative secrète pour obtenir réparation », affirmant que « sans l’exemption, le plan se délitera ».

« Nous disons qu’il y a d’autres victimes des opioïdes ayant également subi des préjudices tragiques qui disent ne pas consentir à voir leurs droits éteints de force », a répliqué l’avocat du gouvernement, Curtis Gannon.

Milliards « siphonnés » par les Sackler

Le juge Brett Kavanaugh, relevant le soutien « écrasant », de plus de 95 % des créanciers à l’accord, a reproché au gouvernement de minimiser les « incertitudes » en cas de rejet.

Sa collègue Ketanji Brown Jackson a néanmoins relevé que cette situation résultait de la volonté de la famille d’obtenir cette exemption.

« C’est uniquement parce que les Sackler ont mis l’argent à l’étranger, n’est-ce pas ? », a-t-elle souligné. « Cette condition est nécessaire parce que les Sackler ont pris l’argent et refusent de le rendre tant qu’ils n’auront pas obtenu cette condition ».

« Les membres de la famille Sackler ne se sont pas eux-mêmes déclarés en faillite et n’ont mis qu’une fraction de leurs biens à la disposition de la liquidation de Purdue », a rappelé Curtis Gannon.

Le département de la Justice a indiqué que les Sackler avaient « siphonné » quelque 11 milliards de dollars de l’entreprise dans les années précédant sa déclaration de faillite en 2019.