(New York) L’homme qui assumerait la présidence des États-Unis si Joe Biden et Kamala Harris disparaissaient soudainement rêve de transformer son pays « dépravé » en « république biblique ».

Inconnu du grand public avant de devenir deuxième dans l’ordre de succession présidentielle en tant que président de la Chambre des représentants, le 25 octobre dernier, Mike Johnson n’hésite pas à reconnaître l’importance centrale de la Bible dans sa vie.

« Quelqu’un des médias m’a demandé aujourd’hui : “Les gens sont curieux de savoir ce que Mike Johnson pense de tel ou tel sujet.” J’ai répondu : “Eh bien, prenez une Bible sur votre étagère et lisez-la. C’est ma vision du monde” », a déclaré le représentant de Louisiane sur Fox News, 48 heures après avoir succédé à Kevin McCarthy comme responsable des priorités législatives de la chambre basse du Congrès américain.

« Votre vision du monde personnelle », a nuancé l’animateur Sean Hannity, son interlocuteur.

« Ma vision du monde personnelle », a confirmé l’élu de 51 ans.

Dominionisme

Mais Mike Johnson n’a pas dit toute la vérité, à en croire André Gagné, professeur titulaire et directeur du département d’études théologiques de l’Université Concordia, qui s’intéresse depuis longtemps aux évangéliques américains.

Selon le théologien, la vision du monde de ce politicien ultraconservateur aux allures de gendre idéal ne se limite pas à la sphère privée. Elle correspond à celle des « dominionistes », qui cherchent à établir aux États-Unis « une république biblique, fondée sur les principes de la Bible ».

« Si on pouvait donner une définition du dominionisme, ce serait cette idée théocratique où les chrétiens sont appelés par Dieu à exercer leur autorité ou leur domination sur chaque aspect de la société en prenant le contrôle des institutions culturelles et politiques », explique André Gagné, dont la traduction et la mise à jour en anglais du livre Ces évangéliques derrière Trump paraîtra le 1er décembre.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ CONCORDIA

Le directeur du département d’études théologiques de l’Université Concordia, André Gagné

« Bien sûr, cela veut dire que les chrétiens, pour en arriver à leurs fins, ont la responsabilité de s’impliquer en politique et de changer les politiques publiques afin de les aligner avec leur compréhension de la volonté de Dieu qu’ils retrouvent dans leur lecture propre de la Bible. »

Au fil des années, sa lecture littérale de la Bible, y compris le livre de la Genèse, a notamment fait dire ou écrire à Mike Johnson que les États américains étaient justifiés de criminaliser l’homosexualité, que les fusillades dans les écoles étaient attribuables au féminisme « radical », à la révolution sexuelle et au divorce sans faute, et que les États-Unis risquaient de subir le jugement divin pour leurs « péchés collectifs ».

« La culture est tellement sombre et dépravée qu’elle semble presque irrémédiable », a-t-il déclaré lors d’une émission récente du World Prayer Network animée par l’ancien pasteur Jim Garlow, figure de proue du dominionisme (et du trumpisme) chez les évangéliques.

Une vision radicale inspirée de la Bible

André Gagné ne croit pas que les États-Unis aient déjà vu un évangélique avec les croyances de Mike Johnson atteindre un poste politique aussi élevé que le sien. À côté de lui, l’ancien vice-président Mike Pence, pourtant bien identifié à la droite religieuse, fait presque figure de modéré. Les deux hommes ont d’ailleurs adopté des positions diamétralement opposées après l’élection présidentielle de 2020.

Le 6 janvier 2021, par exemple, Mike Pence a conclu que la Constitution américaine ne lui permettait pas de bloquer la certification de l’élection de Joe Biden. À l’opposé, Mike Johnson, avocat spécialisé en droit constitutionnel, n’a pas seulement fourni à ses collègues de la Chambre des arguments pseudo-juridiques pour justifier leur vote contre la certification du scrutin.

M. Johnson a également rédigé un mémoire pour appuyer le vain recours du Texas auprès de la Cour suprême des États-Unis visant à annuler les résultats dans quatre États clés remportés par le candidat démocrate.

Dans ces efforts, Mike Johnson a été moins guidé par son respect de la Constitution que par sa vision du monde inspirée par la Bible, selon André Gagné. Ce dernier décrit de la façon suivante le raisonnement du représentant de Louisiane et d’autres évangéliques qui ont cru, voulu croire ou croient encore au grand mensonge de Donald Trump concernant l’élection présidentielle de 2020 : « L’idée est que si on perd Trump, on perd tout ce qu’il nous a donné en tant qu’évangéliques. C’était aussi la peur d’avoir un démocrate comme président qui allait tout défaire ce que Trump leur avait donné. »

« Une intervention surnaturelle »

Arrivé de nulle part au sommet de la hiérarchie politique de Washington, Mike Johnson n’est pas assuré de pouvoir s’y maintenir. La semaine dernière, il s’est mis à dos les républicains les plus extrémistes de la Chambre en s’appuyant sur des votes démocrates pour financer le gouvernement au-delà de la date limite du 17 novembre et éviter une paralysie budgétaire. La même approche avait coûté son poste à son prédécesseur, le 3 octobre dernier.

Mais il ne faudrait peut-être pas se surprendre que Mike Johnson croie jouir de la protection divine. Quelques heures à peine avant le vote qui allait mener à la destitution de Kevin McCarthy, il a évoqué le chaos sévissant à la Chambre lors de sa « prière » avec l’ancien pasteur Jim Garlow sur le World Prayer Network.

« Ce dont nous avons besoin, c’est d’une intervention surnaturelle du Dieu de l’univers, a-t-il dit. La seule question qui se pose est la suivante : Dieu va-t-il permettre à notre nation d’entrer dans une période de jugement pour nos péchés collectifs ? Ou va-t-il nous donner une dernière chance de restaurer les fondations et de revenir à lui ? Nous devons nous tourner vers lui. Nous avons besoin d’un renouveau. »

Trois semaines plus tard, à la surprise générale, Mike Johnson a été élu à la présidence de la Chambre.