(New York) En juin 2019, l’ex-chroniqueuse du magazine Elle E. Jean Carroll, qui accuse Donald Trump de viol et de diffamation, a reçu un courriel concernant un épisode de l’émission de télévision Law & Order : Special Victims Unit.

L’autrice de ce courriel rappelait à sa destinataire que l’épisode contenait une scène où des personnages fantasmaient au sujet d’un viol commis à l’endroit même où E. Jean Carroll affirme avoir été agressée sexuellement par le futur président des États-Unis en 1996.

« Vous savez qu’il y a un épisode de Law & Order datant de 2012 dans lequel une femme se fait violer dans une cabine d’essayage de Bergdorf Goodman ? », a demandé l’avocat de Donald Trump, Joe Tacopina, à l’ex-journaliste, en faisant allusion au contenu du courriel, lundi après-midi, dans une salle d’audience bondée du tribunal fédéral de New York.

« Je suis au courant, mais je n’ai jamais vu cet épisode », a répondu le témoin, qui en était à sa troisième et dernière journée à la barre dans ce procès civil qui pourrait prendre fin cette semaine. « Les scénaristes de Law & Order sont très doués pour comprendre la psyché de leurs téléspectateurs. C’était renversant pour moi. »

ILLUSTRATION JANE ROSENBERG, REUTERS

Joe Tacopina, avocat de Donald Trump

« Vous voulez dire que c’était une coïncidence renversante ? », a demandé Me Tacopina.

Le juge Lewis Kaplan a mis fin de façon abrupte à cet échange dans lequel l’avocat de Donald Trump semblait vouloir insinuer qu’E. Jean Carroll s’était inspirée d’un épisode de Law & Order pour écrire le chapitre de son livre de 2019 où elle accuse Donald Trump de l’avoir violée.

Une « bataille »

La thèse ne tient pas la route si l’on croit le témoignage de Mme Carroll, selon lequel elle s’est confiée à deux amies immédiatement après le viol présumé, en 1996. Lisa Birnbach et Carol Martin, les amies en question, devraient témoigner d’ici la fin du procès.

Et Donald Trump ? Il était en Écosse lundi pour y inspecter ses terrains de golf locaux. Son avocat principal n’a pas encore exclu la possibilité qu’il témoigne à son procès. Procès dont il a demandé en vain l’annulation lundi matin en citant des erreurs présumées de la part du juge dans une lettre de 18 pages.

D’autres émissions de télévision ont été évoquées au cours de la dernière journée du contre-interrogatoire d’E. Jean Carroll, dont l’exécution lente et laborieuse a irrité le juge Kaplan à quelques reprises.

« Pourrions-nous faire avancer les choses, s’il vous plaît », a-t-il dit à Joe Tacopina, qui avait du mal à se retrouver dans les preuves qu’il voulait montrer aux jurés.

L’une de ces preuves consistait en un extrait de l’émission de CNN Anderson Cooper 360. Lors d’une interview coïncidant avec la sortie de son livre, E. Jean Carroll avait décrit la scène de la cabine d’essayage de Bergdorf Goodman comme une « bataille » et non un « viol ».

« Je pense que la plupart des gens considèrent le viol comme un acte sexy », avait-elle dit.

Joe Tacopina lui a demandé si elle était encore de cet avis.

« Dans notre culture, nous sommes saturés d’émissions de divertissement qui montrent continuellement des viols pour attirer l’attention du public », a déclaré Mme Carroll, en donnant comme exemple la série de HBO Game of Thrones.

« Vous comparez les scènes de viol à la télévision aux scènes de viol dans la vie réelle ? », a demandé l’avocat de Donald Trump.

E. Jean Carroll a répondu par la négative. Plus tard, cependant, elle a reconnu avoir été l’une des téléspectatrices les plus fidèles de l’émission de téléréalité The Apprentice, animée par celui qu’elle allait accuser de l’avoir violée.

« De jeunes entrepreneurs ambitieux en compétition, c’est ce que j’aimais. Pas le fait qu’il licencie des gens », a-t-elle dit.

La « génération silencieuse »

Habillée d’un veston noir et d’une jupe blanche, E. Jean Carroll a répondu d’une voix calme aux questions de l’avocat de Donald Trump. De toute évidence, ce dernier cherchait à la mettre en contradiction avec elle-même ou tout simplement à la déstabiliser, comme il avait tenté de le faire la semaine dernière.

Il est ainsi revenu sur le fait que Mme Carroll n’avait pas appelé la police après le viol, et ce, même si, en tant que chroniqueuse, elle avait encouragé les femmes à le faire en pareilles circonstances. Il a également ramené sur le tapis ses liens avec des figures anti-Trump bien connues, dont l’avocat conservateur George Conway et la nièce de l’ancien président Mary Trump. Et il a rappelé les déclarations où l’autrice répétait qu’elle se portait à merveille.

« Monsieur Tacopina, je suis née en 1943. Je fais partie de la génération silencieuse », a-t-elle déclaré pour expliquer son long silence sur le viol présumé de Donald Trump.

Les femmes comme moi ont été formées et entraînées à garder le menton haut et à ne pas se plaindre.

E. Jean Carroll

Composé de six hommes et de trois femmes, le jury doit décider si Donald Trump a diffamé E. Jean Carroll en la traitant de menteuse et d’agente du Parti démocrate, entre autres, après la publication de son livre. Il doit aussi déterminer si l’ex-président s’est rendu coupable d’un assaut (battery) dans la cabine d’essayage du Bergdorf Goodman. Et, le cas échéant, il doit calculer le montant des dommages et intérêts qui doivent être versés à la plaignante.

Deux autres femmes ayant accusé Donald Trump d’agression sexuelle doivent témoigner pendant le procès.

Après le contre-interrogatoire d’E. Jean Carroll, un de ses avocats, Michael Ferrara, l’a interrogée à propos de l’épisode de Law & Order : SVU.

« Vous vous basez sur ce qui s’est passé dans une série télévisée populaire pour lancer votre accusation ? », a-t-il demandé.

« Non », a répondu Mme Carroll.