(Washington) La Cour suprême des États-Unis, qui devait se prononcer mercredi sur le casse-tête judiciaire autour du sort de la pilule abortive dans le pays, a repoussé de deux jours sa décision très attendue, prolongeant donc temporairement, jusqu’à vendredi, l’accès complet au cachet.

Ajoutant un chapitre à cette haletante saga, suivie avec anxiété par défenseurs et opposants au droit à l’avortement, le juge Samuel Alito a indiqué dans un texte laconique que la suspension par la haute cour de la décision d’une instance inférieure sur la pilule était prolongée de 48 heures, jusqu’à « 23 h 59 vendredi 21 avril ».

« La Cour devrait mettre fin une fois pour toutes à cette affaire dangereuse et sans fondement », a aussitôt réagi l’organisation de défense des droits civiques ACLU.

« Les personnes ayant besoin d’un avortement ou de traitement pour une fausse couche ne devraient pas rester là à se demander si elles pourront avoir accès aux soins nécessaires ou si la Cour suprême va brusquement leur retirer cette possibilité », a-t-elle ajouté.

Moins d’un an après avoir annulé la protection constitutionnelle de l’avortement, la haute cour à majorité conservatrice avait été saisie en urgence par le gouvernement de Joe Biden après des décisions de justice contradictoires.

En jeu, l’accès sur tout le territoire à la mifépristone.  

En combinaison avec un autre médicament, la mifépristone est utilisée pour plus de la moitié des avortements aux États-Unis. Plus de cinq millions d’Américaines l’ont déjà prise depuis son autorisation par l’Agence américaine des médicaments (FDA) il y a plus de 20 ans.

Juge contre juge

Tout a commencé lorsqu’un juge fédéral au Texas connu pour sa foi chrétienne et ses positions ultraconservatrices, nommé par Donald Trump, a retiré le 7 avril l’autorisation de mise sur le marché de la mifépristone après avoir été saisi par des militants antiavortement.  

En dépit du consensus scientifique, il a estimé qu’elle présentait des risques pour la santé des femmes.

Une cour d’appel, saisie par le gouvernement fédéral, a ensuite permis que la pilule abortive reste autorisée, mais en limitant les facilités d’accès accordées par la FDA au fil des ans.

Son jugement revenait à interdire l’envoi par la poste de la mifépristone et à retourner à une utilisation limitée à sept semaines de grossesse, au lieu de dix.  

Le gouvernement fédéral a alors saisi en catastrophe la Cour suprême. Cette dernière a temporairement maintenu vendredi l’accès à la pilule abortive, en suspendant la décision de la cour d’appel afin d’avoir plus de temps pour examiner le dossier.

Compliquant encore l’affaire, un juge fédéral siégeant dans l’État de Washington, nommé par Barack Obama, avait estimé juste après la décision de son collègue au Texas que la mifépristone était « sûre et efficace » et avait interdit à la FDA de retirer son agrément dans 17 États et dans la capitale.

Vaccins ?

La première suspension décidée par la Cour suprême valait jusqu’à mercredi juste avant minuit.  

Mardi, une coalition de médecins antiavortement a exhorté le temple du droit américain à laisser la décision de la cour d’appel en place.

La FDA et le laboratoire pharmaceutique Danco, qui fabrique la mifépristone, ont « continuellement fait passer la politique avant la santé des femmes », ont dénoncé ces associations de gynécologues et de pédiatres militant contre l’avortement.

« Sans une décision suspensive, la mifépristone va provoquer encore plus de complications physiques, de traumatismes émotionnels et même de morts chez les femmes », ont argué les médecins, assurant qu’elle nuirait aussi « aux plaignants en les forçant à pratiquer des avortements à la carte violant leur conscience ».

Le président Biden avait jugé que la décision du juge au Texas « dépass[ait] complètement les bornes ».

La pilule abortive n’est déjà plus disponible officiellement dans une quinzaine d’États américains ayant récemment interdit l’avortement, même si des voies détournées se sont développées. L’impact de restrictions ou d’une interdiction de cette pilule concernerait donc en premier lieu les États où l’avortement reste légal – pour beaucoup démocrates.

Experts et patrons du secteur pharmaceutique craignent que ces actions en justice n’ouvrent la voie à la remise en cause par des tribunaux d’autres médicaments.

« Il n’est pas irréaliste de dire que si un juge peut se réveiller le matin et décider qu’il veut retirer un médicament du marché […], alors un juge peut faire la même chose pour des vaccins ou des antidépresseurs qu’il n’aime pas », a affirmé Josh Sharfstein, un ancien responsable de la FDA.