L’inquiétude reste vive à East Palestine, en Ohio, où les résidants évacués début février, à la suite du déraillement d’un train transportant des produits chimiques dangereux, ont pu réintégrer leurs maisons. Des experts pressent toutefois l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis d’en faire plus pour rassurer la population locale.

Gregory Mascher refuse toujours que ses petites-filles reviennent habiter chez lui. Le retraité, entraîneur de basketball à ses heures, habite à moins d’un kilomètre de l’endroit où a eu lieu l’accident, le 3 février.

« Je regardais un film avec mes petites-filles lorsque c’est arrivé. Nous sommes allés faire un tour en ville en voiture et c’est là que j’ai pris une vidéo. L’odeur était terrible », raconte-t-il au bout du fil, de sa maison, où il est retourné jeudi après avoir passé plusieurs jours chez des amis, à une quinzaine de kilomètres de là.

Comme la majorité des habitants de cette municipalité d’environ 5000 âmes de l’Ohio située à un jet de pierre de la frontière de la Pennsylvanie, il a été évacué à la suite du déraillement.

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Un épais panache de fumée surplombe East Palestine, le 6 février, à la suite de la détonation contrôlée de wagons pressurisés contenant du chlorure de vinyle.

Une cinquantaine de wagons avaient alors pris feu après avoir déraillé, dont cinq transportant une substance chimique hautement instable, le chlorure de vinyle, utilisé entre autres dans la fabrication de tubes en PVC.

Afin d’éviter l’explosion des wagons pressurisés où le produit était stocké, les autorités l’ont brûlé sur place, créant par le fait même un épais panache de fumée. Et une odeur atroce, qui persiste encore aujourd’hui.

« C’est comme si on la goûtait »

« En revenant, on l’a tout de suite remarqué. C’est dur à décrire, c’est comme une odeur chimique, mais tellement forte que c’est comme si on la goûtait. C’est terrible aujourd’hui, presque autant que le soir où c’est arrivé », décrit Gregory Mascher, qui réside à East Palestine depuis sa naissance, il y a 61 ans.

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Des travailleurs retirent des poissons morts dans un cours d’eau près du site du déraillement de train, le 6 février.

Or, les autorités assurent que la qualité de l’eau et de l’air du village n’a pas été compromise. Dans un communiqué de presse publié jeudi, l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) indique avoir analysé l’eau de 486 maisons à ce jour.

« Les résultats de l’échantillonnage du puits municipal du village n’ont révélé aucun problème de qualité de l’eau », y assure-t-on également, un avis appuyé par le gouverneur de l’Ohio, Mike DeWine, qui l’a réitéré dans un autre communiqué publié jeudi.

Les propriétaires de puits privés sont toutefois invités à continuer à boire de l’eau en bouteille, le temps de faire analyser leur installation.

Mais l’odeur persistante, conjuguée à la mort subite de nombreux animaux domestiques rapportée par des médias locaux, continue d’inquiéter la population. « J’ai lu quelque chose sur les réseaux sociaux à propos du fait qu’il n’y avait plus d’oiseaux à East Palestine et ça m’a frappé. Il n’y a plus d’oiseaux, alors que normalement il y en a plein dans notre quartier », lance Gregory Masher.

Des analyses incomplètes ?

De fait, le chlorure de vinyle, lorsqu’il est brûlé, entraîne la formation d’autres composés dangereux parmi lesquels la dioxine, explique la directrice du Centre Eau Terre Environnement de l’Institut national de la recherche scientifique, Louise Hénault-Ethier.

« Ce sont des cancérigènes très puissants et très persistants dans l’environnement. […] C’est quelque chose qu’on va retrouver dans les cendres volantes. Donc si on a mis le feu pour éliminer le chlorure, ça s’est peut-être déposé un peu partout », explique-t-elle.

« Si ces cendres se sont déposées un peu partout, il y a quand même un risque », ajoute-t-elle en soulignant qu’un nettoyage des surfaces peut aider à résoudre en partie le problème.

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Des responsables de l’EPA de l’Ohio ont inspecté jeudi les lieux aux alentours du déraillement d’un train à East Palestine.

L’EPA, dans ses communications officielles, ne précise pas avoir mené des tests pour détecter la présence de dioxine dans le secteur, pointe également Louise Hénault-Ethier. Comme certains de ses collègues cités par d’autres médias, elle estime que l’agence gouvernementale pourrait en faire plus pour rassurer la population.

S’il dit faire confiance à l’EPA, une agence « rigoureuse », pour juger de la sécurité des lieux, le chimiste et professeur titulaire à l’Université Laval Normand Voyer explique que certaines personnes peuvent réagir différemment lorsqu’elles sont exposées à des produits chimiques, d’où certaines réactions rapportées par des citoyens après les faits.

L’administration Biden se veut rassurante

L’approche de l’entreprise qui exploitait le train à l’origine de l’accident, Norfolk Southern, est aussi critiquée. Des représentants de l’entreprise censés être présents pour répondre aux questions des citoyens lors d’une rencontre au gymnase municipal mercredi soir se sont finalement décommandés.

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Des résidants d’East Palestine ont manifesté leur inquiétude lors d’une assemblée citoyenne, mercredi soir.

Norfolk Southern a expliqué cette décision en se disant préoccupée par une « menace physique croissante contre [ses] employés et les membres de la communauté autour de cet évènement » et la présence potentielle de « parties extérieures », selon ce qu’a rapporté CNN.

« Je veux que la population sache qu’elle n’a pas à gérer cette affaire seule […]. Nous serons là pour aider », a déclaré pour sa part l’administrateur de l’EPA, Michael Regan, de passage à East Palestine jeudi.

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L’administrateur de l’EPA, Michael Regan, en visite à East Palestine, jeudi

« Nous allons faire toute la lumière » sur ce qui s’est passé, a assuré de son côté à Washington la porte-parole du président Joe Biden, Karine Jean-Pierre. « Nous allons faire rendre des comptes à Norfolk Southern », a-t-elle ajouté.

Au moins quatre actions collectives ont été déposées par des habitants d’East Palestine contre l’entreprise Norfolk Southern, selon ce qu’ont rapporté plusieurs médias américains.