(New York) Peut-on pratiquer une autopsie sur un corps dont la mort n’a pas encore été confirmée ?

En 2012, les dirigeants républicains n’avaient aucun doute. Après la défaite de Mitt Romney contre Barack Obama, président inepte à leurs yeux, ils étaient sûrs que leur parti avait expiré comme force dominante sur la scène nationale. D’où leur décision de pratiquer une autopsie pour déterminer les causes du problème et recommander une nouvelle approche.

Dix ans plus tard, dans la foulée des élections de mi-mandat, le Comité national républicain annonce une nouvelle autopsie. Déçue des résultats, sa présidente, Ronna McDaniel, nièce de Mitt Romney, veut notamment savoir pourquoi son parti a perdu le vote des indépendants (par 2 points de pourcentage), fait rarissime lors d’un scrutin du genre où cette tranche de l’électorat a l’habitude de punir le parti au pouvoir à la Maison-Blanche.

Or, contrairement au parti de Mitt Romney il y a 10 ans, celui de Donald Trump se bat encore pour sa survie. En fait, les coprésidents du comité chargé de réaliser l’autopsie incarnent les convulsions qui secouent le Grand Old Party au moment où le 45président amorce une autre campagne présidentielle.

Un document fascinant

Henry Barbour, neveu d’un ancien gouverneur du Mississippi, est l’un des coprésidents. Membre de l’élite du Parti républicain, il a participé à la rédaction du rapport qui a suivi l’autopsie de 2012. À la veille de son 10anniversaire, ce document demeure fascinant. Sa publication suivait une campagne présidentielle au cours de laquelle Mitt Romney avait proposé « l’auto-expulsion » des immigrés clandestins comme solution à l’immigration illégale.

Largement ridiculisée, la proposition avait contribué à la maigre récolte de votes de Mitt Romney chez les Latinos — 71 % d’entre eux avaient préféré Barack Obama.

Aussi, dans leur rapport de 100 pages publié à la suite de leur autopsie approfondie, Henry Barbour et ses collègues avaient recommandé au Parti républicain d’être beaucoup plus que le parti des Blancs hétérosexuels d’un certain âge.

« Nous devons faire campagne auprès des Américains hispaniques, noirs, asiatiques et homosexuels et démontrer que nous nous soucions d’eux aussi », écrivaient-ils après la tenue de 3000 séances d’écoute en groupe, de plus de 800 conférences téléphoniques et d’innombrables sondages.

Mais c’est le passage suivant qui allait frapper le plus les esprits : « Parmi les mesures à envisager dans la communauté hispanique et au-delà, les républicains doivent adopter et défendre une réforme complète de l’immigration. Si nous ne le faisons pas, l’attrait de notre parti continuera à se réduire aux seuls électeurs de sa base. »

Le rapport avait été publié le 18 mars 2013. Deux ans et trois mois plus tard, Donald Trump a dit, en quelque sorte, ce qu’il pensait du document lors de l’annonce de sa candidature à la présidence.

Il a non seulement promis de construire un mur à la frontière sud, mais également traité les immigrés mexicains « de trafiquants de drogue, de criminels et de violeurs ».

Et il a surpris Hillary Clinton en faisant le plein de votes auprès d’un électorat négligé par les élites des deux grands partis américains — les Blancs de la classe ouvrière.

Les républicains ont évidemment retenu les leçons de Donald Trump plutôt que celles de Henry Barbour.

Harmeet Dhillon coprésidera le comité mis sur pied par Ronna McDaniel. Si Henry Barbour représente l’élite républicaine, cette ancienne vice-présidente du Parti républicain de Californie est identifiée à la mouvance trumpiste. À titre de conseillère juridique de la campagne présidentielle de Donald Trump en 2020, elle a participé aux contestations du scrutin devant les tribunaux.

Certains soupçonnent Ronna McDaniel de l’avoir choisie pour rester dans les bonnes grâces de Donald Trump. Chose certaine, Harmeet Dhillon n’a pas été amadouée. Quelques jours après sa nomination, elle a annoncé son intention de détrôner McDaniel au poste de présidente du Comité national républicain, poste qui sera mis en jeu en février prochain. Bonjour, l’ambiance !

Et c’est sans compter les républicains qui ont commencé à attaquer ouvertement Donald Trump. Ils sont convaincus que l’ancien président est devenu toxique.

Ils en ont pour preuve les performances décevantes de leur parti lors des trois dernières élections nationales — 2018, 2020 et 2022 —, performances qu’ils attribuent à l’effet repoussoir que Trump et ses semblables exercent sur certains segments clés de l’électorat.

Et ils sont consternés par la rencontre récente du propriétaire de Mar-a-Lago avec des antisémites, ainsi que par sa déclaration sur l’opportunité de mettre fin à la Constitution.

« Nous devons comprendre que le soutien de Trump à un candidat n’est pas une incitation à l’appuyer, mais un avertissement de s’en méfier », a déclaré sur Fox News Karl Rove, ancien stratège de George W. Bush, au lendemain de la défaite de Herschel Walker, candidat recruté et soutenu par Donald Trump, lors de l’élection sénatoriale de Géorgie.

Le même jour, Rove signait dans le Wall Street Journal une tribune qui se terminait sur cette phrase : « Un Parti républicain dirigé par Donald Trump perdra, perdra et perdra. »

Le rapport qui suivra l’autopsie de 2022 est attendu au milieu de l’année prochaine. Il notera peut-être une double ironie. Malgré les discours jugés racistes ou xénophobes de Donald Trump, le Parti républicain a vu croître ses votes chez les Noirs et les Latinos au cours des trois dernières élections.

Le hic, c’est qu’il continue d’en perdre dans ce qui était autrefois ses bastions, les banlieues, où vivent de nombreux Blancs hétérosexuels d’un certain âge.