(New York) Comme la plupart des habitants de Bakersfield, ville agricole et pétrolière située dans la vallée Centrale de Californie, Mark Martinez est tombé sous le charme de Kevin McCarthy dès sa première rencontre avec lui, il y a environ un quart de siècle.

« C’est une personne très sympathique. En tant qu’individu, vous aimeriez probablement l’avoir comme voisin de palier », dit le politologue de l’Université d’État de Californie à Bakersfield, qui a invité et accueilli dans sa classe celui qui rêve aujourd’hui de succéder à Nancy Pelosi au poste très influent de président de la Chambre des représentants.

« Mais pratiquement tous ceux qui le connaissent vous diront qu’il n’est pas la personne la plus intelligente dans la pièce », ajoute-t-il.

Une version plus diplomatique de cette opinion veut que Kevin McCarthy, 57 ans, soit parvenu à compenser un désintérêt bien connu pour les enjeux idéologiques et politiques par un entregent singulier qui lui a permis de grimper les échelons politiques.

Les petites attentions

Une anecdote illustre sa méthode. Lors d’un vol sur Air Force One, à l’automne 2017, Kevin McCarthy s’est aperçu que Donald Trump raffolait des bonbons Starburst aux parfums de cerise et de fraise. De retour à Washington, il a demandé à l’un des membres de son personnel d’extirper les bonbons préférés du président de sacs de Starburst afin de les lui offrir en cadeau dans un pot portant le nom du chef des républicains à la Chambre.

L’histoire ne dit pas si c’est ce cadeau qui a poussé le 45e président à se mettre à appeler McCarthy « mon Kevin ». Mais ce dernier est reconnu pour son attention à ce genre de détails.

Cela suffira-t-il au natif de Bakersfield pour être élu à la place de Pelosi, le 3 janvier prochain, lorsque la Chambre tiendra un vote sur cette question ? La réponse dépendra vraisemblablement des membres les plus radicaux de son groupe, dont au moins deux — Matt Gaetz (Floride) et Andy Biggs (Arizona) — ont déjà annoncé qu’ils s’opposeront à son élection.

Pour le moment, Kevin McCarthy jouit de l’appui d’une autre radicale, Marjorie Taylor Greene (Géorgie), qui a dit ne pas craindre « la guerre civile au sein du Parti républicain ».

Mais il a perdu le respect de son mentor, Bill Thomas, dont il a été l’un des adjoints avant de lui succéder à la Chambre. Thomas n’a pas seulement été le représentant de Bakersfield de 1979 à 2007. Il a également été le président de la puissante commission de la Chambre chargée des questions fiscales. À ce titre, Thomas a permis à McCarthy de développer un précieux réseau de connaissances au sein de la haute finance américaine dont il continue aujourd’hui de profiter.

Mais McCarthy a profondément déçu Thomas le 6 janvier 2021. Lors d’une entrevue télévisée accordée le 17 janvier 2021 à une chaîne de Californie, l’ancien représentant cachait à peine son indignation en évoquant le vote de McCarthy et de nombre de ses collègues républicains contre la certification des résultats de l’élection présidentielle de 2020, quelques heures à peine après l’attaque contre le Capitole.

« C’est comme s’ils étaient partis pour un lunch prolongé et qu’ils revenaient et reprenaient leur mission, à savoir renforcer, par [leurs] votes, les mensonges du président », a-t-il fulminé.

Pas prêt à laisser Trump

La suite des évènements n’aura pas jeté sur McCarthy un éclairage plus glorieux. Lors d’un discours dans l’hémicycle de la Chambre, le 13 janvier 2021, l’élu californien a affirmé que Donald Trump portait une « responsabilité » pour les violences de la semaine précédente. « Il aurait dû immédiatement dénoncer la foule quand il a vu ce qui se passait », a-t-il dit.

Mais il a voté contre sa mise en accusation par la Chambre pour incitation à l’insurrection.

Et quand il s’est aperçu que sa déclaration sur la responsabilité de Donald Trump menaçait son propre avenir, il s’est rendu à Mar-a-Lago, le 27 janvier 2021, pour faire la paix avec l’ancien président.

Kevin s’est rendu à Mar-a-Lago pour embrasser la bague de Trump parce qu’il avait besoin de lui. Et il a encore besoin de lui.

Mark Martinez, politologue de l’Université d’État de Californie à Bakersfield

En 2015, Kevin McCarthy a échoué dans sa première tentative de devenir le chef des républicains à la Chambre, en raison notamment de la méfiance à son égard des plus conservateurs au sein du groupe. Il a depuis effectué un virage à droite qui pourrait se traduire à partir de janvier 2023 par une multiplication d’enquêtes sur des sujets chers aux partisans les plus farouches de Donald Trump, dont les affaires de Hunter Biden, fils du président.

Lui-même fils d’un pompier et d’une ménagère, Kevin McCarthy s’est toujours considéré comme chanceux. Son histoire personnelle préférée commence d’ailleurs par l’achat d’un billet de loto qui lui a permis de gagner, à 21 ans, 5000 $. Selon son récit, cet argent lui a permis d’ouvrir une petite épicerie fine servant des sandwichs, entreprise qu’il dit avoir revendue trois ans plus tard pour payer ses études universitaires.

Les vérificateurs des faits des médias ont remis en cause certains aspects de cette histoire. Son comptoir à sandwichs se trouvait dans un commerce appartenant à un oncle. Et il n’a jamais été « revendu ».

N’empêche : le 3 janvier prochain, la méthode de Kevin McCarthy pourrait faire de lui, en tant que président de la Chambre, le deuxième dans l’ordre de succession présidentielle.