(Mesa) Fermement plantés dans leurs chaises pliantes sur un stationnement en banlieue de Phoenix, Gabor Zolna et deux de ses amies filment sans discontinuer une boîte métallique où les électeurs d’Arizona peuvent déposer leur bulletin de vote pour les élections de mi-mandat.

« C’est une arme de dissuasion », lance ce retraité de 78 ans, en désignant leurs petites caméras braquées sur l’urne, pendant qu’un étui de pistolet dépasse sous sa doudoune.

« Nous sommes vraiment ici pour décourager les gens qui viennent pour bourrer les boîtes de (faux) bulletins », assure Nicole, une autre retraitée de 52 ans, qui refuse de donner son nom, dissimulée derrière son masque, ses lunettes de soleil et sa casquette.

En mission pour « sauver la République », le trio est persuadé que l’élection présidentielle de 2020 a été truquée aux États-Unis, et que Donald Trump aurait dû être réélu face à Joe Biden.  

Ce dernier l’a emporté d’à peine 10 000 voix en Arizona. Habituellement républicain, l’État n’avait jamais voté pour un président démocrate depuis Bill Clinton.

Peu importe les multiples enquêtes qui ont conclu à l’absence de fraude électorale, la certitude des trois guetteurs demeure absolue. De même, ils soutiennent mordicus que « la Terre est plate » et que l’homme « n’est jamais allé sur la Lune ».

Depuis quelques jours, la tension grimpe dangereusement autour de cette boîte électorale esseulée devant le tribunal pour enfants de Mesa, près de Phoenix.

Guetteurs armés

Vendredi, le shérif est intervenu pour évacuer deux hommes armés en tenue paramilitaire – il est légal en Arizona de porter une arme à feu – venus faire le planton devant ce symbole de démocratie.

Plusieurs personnes ont porté plainte : certaines soupçonnent une campagne de pression coordonnée par un groupe de « patriotes » autoproclamés, « Clean Elections USA ». La présence policière a été renforcée et les autorités du comté de Maricopa tentent de calmer le jeu.  

« Bien que le suivi et la transparence de nos élections soient critiques, l’intimidation des électeurs est illégale », ont-elles rappelé lundi dans un communiqué, en invitant les sceptiques à s’inscrire auprès d’un parti pour surveiller l’intégrité du scrutin.

Mais l’engrenage semble lancé. Dans le stationnement, Kevin Smith a cru bon de venir avec son chien de garde sur le siège avant de sa camionnette.  

« Je suis venu pour surveiller les guetteurs (de la boîte), et voir comment ils réagissent à l’intimidation », lâche ce quinquagénaire, passablement indigné.

Face à la paranoïa ambiante, rares sont les électeurs qui osent encore venir voter sur ce site en plein air. Hormis Kristin Wilde, qui a bravé le risque sans en avoir conscience.

« C’est bizarre », souffle-t-elle. « J’ai déjà rempli mon bulletin, donc je ne vais pas changer pour qui j’ai voté. Mais si j’avais su pour les armes, je ne serais pas venue ici. »

Tension « sans précédent »

« La tension autour de cette élection est sans précédent », souligne Gina Woodall, politologue à l’université d’État de l’Arizona. Le scrutin complexe de mi-mandat, lors duquel les Américains renouvellent le Congrès et le Sénat ainsi que des myriades d’élus locaux, génère d’habitude beaucoup moins d’intérêt que la présidentielle, rappelle-t-elle.  

Mais en Arizona, l’état-major du parti républicain a embrassé les thèses conspirationnistes depuis la courte victoire de Joe Biden.  

Ses trois candidats pour les postes de gouverneur, sénateur et secrétaire d’État contestent toujours vigoureusement les résultats, même après l’embauche controversée par le Sénat local d’une société d’audit. L’entreprise Cyber Ninjas, qui n’avait aucune expérience en matière électorale, n’a pu que confirmer la victoire du démocrate dans le comté de Maricopa.

Aux États-Unis, environ 70 % des électeurs républicains continuent de croire, contre toute évidence, que l’actuel locataire président est illégitime, selon plusieurs sondages publiés ces derniers mois.

C’est dans cette ambiance de défiance généralisée que le service électoral du comté de Maricopa a entamé le dépouillement des votes par correspondance lundi.

« Nous avons reçu un nombre croissant de menaces contre les travailleurs électoraux », reconnaît sa directrice de la communication, Megan Gilbertson.  

Dans son bâtiment du centre de Phoenix, assiégé par des dizaines de manifestants en 2020, la responsable insiste sur l’intégrité du processus électoral. Au-delà des 16 machines chargées de lire les bulletins et filmées 24 heures sur 24, toutes les inscriptions manuscrites sont vérifiées par un couple d’observateurs, composé d’un démocrate et d’un républicain.  

Cette année, nombre d’entre eux sont des nouveaux venus. Et si la plupart attestent que les opérations se déroulent correctement, certains restent inlassablement sceptiques.

« Je ne vois qu’une partie du processus de vote », confie une nouvelle observatrice républicaine, en réclamant l’anonymat. « Ce qui se passe avant et après, je n’en sais rien. »