(Huntington, Virginie-Occidentale ) Lorsque Cecelia Jackson est née, il y a près de 30 ans, environ le quart des enfants américains étaient pauvres, un chiffre qui l’incluait pendant la majeure partie de son enfance.

Son père, chauffeur de camion ayant fait seulement des études primaires, s’est blessé à un bras lorsque Cecelia Jackson était jeune, puis a élevé cinq enfants avec un chèque d’invalidité. La nourriture manquait, les soucis étaient nombreux, et elle se souvient de n’être allée qu’une fois en vacances, un trajet de huit heures pour se rendre à la plage.

« Notre vie était un combat », dit-elle.

Les enfants de Cecelia Jackson luttent moins. Comme son père, Cecelia Jackson gagne un salaire modeste – en tant que conseillère dans un programme gouvernemental pour la petite enfance Head Start – mais elle bénéficie d’un filet de sécurité qui fait beaucoup pour les parents à faible revenu, surtout ceux qui, comme elle, travaillent. La proportion d’enfants que le gouvernement considère comme pauvres a diminué de plus de la moitié, et les enfants de Mme Jackson-Conner, Ezekiel et Lyric, n’en font pas partie.

Alors qu’elle et son mari, Jarren, étudiant et musicien, gagnent moins de 21 000 $ après impôts et dépenses professionnelles, ils reçoivent à peu près autant d’aides publiques, ce qui double leur revenu net. Ce niveau d’aide, destiné en partie à compenser la prévalence des bas salaires, est devenu courant parmi les familles de travailleurs à faible revenu. Et il fait passer les Jackson de plusieurs milliers de dollars sous le seuil de la pauvreté à plusieurs milliers au-dessus.

« Assurément, cela fait une différence », a affirmé Cecelia Jackson. « Les enfants ont beaucoup à manger. S’ils sont malades, nous pouvons les emmener chez le médecin. J’ai des rêves et des objectifs pour ne pas en avoir besoin un jour, mais pour l’instant, je suis reconnaissante que l’aide soit là. »

La pauvreté des enfants a chuté au cours de la dernière génération, et peu d’endroits ont connu des baisses plus importantes que la Virginie-Occidentale, un État qui incarnait autrefois les carences des enfants. La pauvreté des enfants de cet État a diminué de près de 75 % entre 1993 et 2019, selon une analyse complète de Child Trends, un groupe de recherche non partisan, réalisée en partenariat avec le New York Times. Ce chiffre est à comparer à une baisse de 59 % à l’échelle nationale.

Une visite à Huntington, une ville fluviale des Appalaches où les récits d’enfance difficile abondent, montre comment un filet de sécurité élargi offre aux enfants une protection dont leurs parents étaient souvent dépourvus et influe profondément sur la vie économique et émotionnelle des familles.

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La rue où vit Cecelia Jackson avec sa famille, à Huntington.

Ce filet de sécurité est moins le produit d’une vision unifiée que d’une série de programmes ad hoc qui reflètent des idées tant libérales que conservatrices. Au cours du dernier quart de siècle, des lois strictes en matière d’aide sociale ont réduit l’aide en espèces aux familles qui ne travaillent pas, mais les crédits d’impôt pour les travailleurs à bas salaire ont été étendus et les dépenses totales ont augmenté.

Au cours d’une série de conversations, les Jackson ont parlé de manière inhabituellement détaillée de l’impact des aides sur leur budget. Il en est de même pour d’autres familles du centre Head Start, où travaille Cecelia Jackson. Ensemble, leurs histoires offrent un bon échantillon, bien que non scientifique, de la vie sur les lignes de front de la réduction de la pauvreté des enfants.

Les programmes nutritionnels subventionnent le lait sans lactose dont Lyric, 2 ans, a besoin. Medicaid a financé une opération qui a aidé Ezekiel, 5 ans, à surmonter un retard de langage. Des crédits d’impôt ont permis aux Jackson d’acheter une nouvelle voiture, qu’ils ont conduite pour des vacances en famille, comme Cecelia Jackson n’en a jamais connu dans son enfance.

Les Jackson réagissent aux pressions financières de manière contrastée. Jarren Jackson, 28 ans, est un musicien de jazz affable, apparemment immunisé contre le stress. Cecelia Jackson, 27 ans, s’inquiète et s’excuse tout au long de la journée. Tous deux sont fiers de leur dévouement en tant que parents – « nous sommes une famille incroyablement soudée », dit Jarren Jackson – et affirment que l’aide augmente les chances de réussite à long terme de leurs enfants.

« Nous l’avons fait avec et sans », a indiqué Jarren Jackson. « La différence est énorme. »

Pain de maïs, haricots et pommes de terre

Quand Cecelia Jackson décrit les difficultés de grandir dans la pauvreté, elle commence par le lieu. « J’ai grandi dans un cimetière », dit-elle. Son père possédait une caravane dans l’Ohio rural avec un cimetière sur trois côtés. « Je jouais à côté des tombes. »

L’argent manquait même lorsque son père travaillait, mais sa blessure a augmenté les difficultés et l’a laissé en colère et déprimé. Sa mère a épuisé les bons d’alimentation avec un repas peu coûteux qui reste dans le répertoire de Mme Jackson : pain de maïs, haricots et pommes de terre.

Lorsqu’elle est arrivée au secondaire, sa famille a déménagé de l’autre côté de la rivière Ohio, à Huntington, et Cecilia Jackson a dû élever l’enfant de sa sœur. Elle se sentait déjà désespérément en retard à l’école lorsqu’elle a découvert qu’elle était enceinte. Elle a accouché en dernière année du secondaire et a abandonné ses études, avec plus de soucis que de projets et peu d’aide du père du bébé.

En tant que mère célibataire pauvre en 2012, Mme Jackson s’est tournée vers un système d’aide sociale qui avait subi de profonds changements au cours de sa courte vie. Les parents qui travaillaient recevaient plus d’aide, mais ceux qui ne travaillaient pas en recevaient moins, avec des limites de temps et des exigences de travail pour l’aide en argent.

Pour expliquer le recul de la pauvreté des enfants, les libéraux mettent l’accent sur l’élargissement des prestations à une époque de stagnation des salaires. Les conservateurs affirment que les lois strictes sur l’aide sociale ont poussé davantage de personnes à travailler. Mme Jackson affirme que ces deux évolutions l’ont touchée.

« Cela m’a donné un coup de pied aux fesses, dans le bon sens du terme », dit-elle à propos de la limitation de la durée de l’aide sociale. En l’espace d’un an, elle a obtenu son diplôme d’équivalence et un emploi à temps plein d’aide-soignante pour les personnes âgées, qu’elle adore.

C’est alors qu’elle a rencontré Jarren Jackson, un étudiant de l’Université Marshall qui jouait de sept instruments, parlait de son héros du jazz, Cannonball Adderley, et était gentil avec son fils. « Il était comme un tout nouveau monde, que je ne pensais pas être assez bien pour connaître », dit-elle. La relation interraciale suscite la désapprobation de leurs deux familles – elle est blanche, il est noir –, mais la résistance s’estompe avec le temps.

Après la naissance d’Ezekiel, leur premier enfant ensemble, ils ont traversé une période qu’ils appellent « la période difficile ». Cecelia Jackson a été immobilisée par une dépression post-partum et a perdu son emploi de soignante. Jarren Jackson a quitté l’école pour travailler dans un centre d’appels, mais il gagnait trop peu pour payer le loyer. Ils ont déménagé pour éviter l’expulsion.

La dépression a duré plus d’un an, mais avec l’aide de médicaments, Cecelia Jackson s’est rétablie. Elle a trouvé un emploi dans un centre Head Start qui lui « rend le cœur heureux ». Mais après presque cinq ans, elle ne gagne que 11,28 $ de l’heure pour l’année scolaire de 10 mois, les étés n’étant pas payés. En travaillant pour un programme gouvernemental, elle a besoin de l’aide du gouvernement. Sans cette aide, elle élèverait ses enfants avec environ 11 000 $ sous le seuil de pauvreté (environ 31 200 $ à Huntington pour une famille de cinq personnes).

« Nous travaillons très dur, mais nous apprécions l’aide », dit-elle.

Une meilleure chance de se battre

Le centre Head Start est rempli de familles similaires, avec des conditions précaires au bas de l’échelle de l’économie des services et échappant à la pauvreté grâce à l’aide du gouvernement. Avec des budgets serrés, des perspectives limitées et un seuil de pauvreté fixé si bas que de nombreuses familles non pauvres connaissent encore des difficultés, le succès qu’ils incarnent peut sembler modeste. Mais par rapport à la pauvreté, c’est tout de même un progrès.

Il suffit de peu de choses pour convaincre Josie Smith, aide-soignante de 32 ans, que la pauvreté des enfants a reculé depuis sa jeunesse. Elle a grandi dans une caravane si délabrée qu’elle a fait l’objet d’inspections répétées des services de protection de l’enfance. « Nous étions beaucoup, beaucoup plus pauvres que maintenant », dit-elle. « C’est pourquoi j’ai travaillé si dur », pour offrir davantage à ses enfants.

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Josie Smith avec sa fille, Belle.

Pourtant, après près de six ans dans une agence qui s’occupe de patients aux prises avec des problèmes de santé mentale, Mme Smith gagne moins de 12 $ de l’heure, tandis que près de 16 000 $ de crédits d’impôt et d’aide alimentaire permettent à ses enfants, August, 8 ans, et Belle, 5 ans, de sortir de la pauvreté. L’aide gouvernementale représente environ 47 % de son revenu net.

Jusqu’à il y a deux ans, Patricia Shepperson et son mari, Al, disposaient de deux revenus pour élever leur fille, Rosalee. Mais des problèmes de santé ont coûté son emploi à Al Shepperson, et leur revenu a diminué de moitié. Son poids a grimpé à 40 livres, et il lutte contre l’arthrite, le diabète, la dépression et l’autocritique.

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Patricia Shepperson avec sa fille, Rosalee, et son mari, Al, chez eux à Huntington.

« Je devrais travailler », dit-il. « Ma famille mérite mieux. »

Bien que Patricia Shepperson travaille à temps plein à un emploi qu’elle occupe depuis 13 ans, son salaire horaire d’environ 12,40 $ laisserait la famille pauvre sans aide significative.

Al Shepperson a déclaré que le déclin parallèle de sa santé et de ses revenus avait été « l’enfer absolu » pour tout le monde, y compris Rosalee, mais il a reconnu que l’aide du gouvernement lui permettait de rester logée et nourrie. « Cela lui donne une meilleure chance de se battre », a-t-il dit.

Cet article a été initialement publié dans le New York Times.

En savoir plus
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    Une partie de l’aide provient des logements subventionnés, qui sont si limités à l’échelle nationale qu’ils ne touchent qu’une famille admissible sur quatre environ.
    source : The New York Times