(New York) En 1989, Lou Reed, célèbre fondateur du groupe Velvet Underground, revient en force avec un nouvel album solo, New York, état des lieux décapant de sa ville. Parmi ses cibles : Donald Trump et Rudolph Giuliani.

Dans un couplet de la chanson Sick of You, Trump meurt des oreillons à l’hôpital Mount Sinai et Giuliani passe sous les roues d’une voiture conduite par un initié de Wall Street. L’auditeur n’entretient aucun doute sur ce que le rockeur pense du promoteur immobilier et du procureur fédéral du district sud de New York (SDNY).

Trente-deux ans plus tard, on devine le malin plaisir qu’aurait pris la semaine dernière le regretté Lou Reed en regardant les nouvelles à la télé, comme il le fait au début de Sick of You. Plaisir que certains anciens procureurs fédéraux de New York ont peut-être également éprouvé dans leur for intérieur. Car Rudolph Giuliani, dit Rudy, a, d’une certaine façon, bouclé la boucle.

Mais avant d’aller plus loin, un rappel : vers 6 h du matin, mercredi dernier, des agents du FBI ont exécuté un mandat de perquisition dans le domicile et le bureau de Rudolph Giuliani, saisissant plusieurs appareils électroniques. Ils agissaient dans le cadre d’une enquête ouverte en 2020 par le bureau du procureur fédéral du SDNY, le même que Rudy a dirigé de 1983 à 1989.

PHOTO ANDREW KELLY, REUTERS

Des policiers de New York sortent de l’immeuble de Manhattan où Rudy Giuliani réside, mercredi dernier, jour de la perquisition de son domicile et de son bureau par les agents fédéraux.

L’enquête cherche à déterminer si l’avocat personnel de Donald Trump travaillait également pour le compte de politiciens et d’oligarques ukrainiens lorsqu’il a manœuvré pour obtenir le renvoi de l’ambassadrice des États-Unis en Ukraine, Maria Yovanovitch. Celle-ci menait une lutte contre la corruption qui lui avait mis à dos plusieurs Ukrainiens influents. Elle avait notamment refusé d’accorder un visa à l’ancien procureur général d’Ukraine Viktor Shokin, qui avait promis à Rudolph Giuliani des informations susceptibles de nuire à Joe Biden.

Rudolph Giuliani jure que toutes ses démarches en Ukraine n’avaient qu’un seul but : servir les intérêts de son client, Donald Trump. Reste à voir s’il lui restera fidèle.

Abus de pouvoir

En attendant, l’affaire ramène sur le tapis la sempiternelle question : comment l’homme qui a incarné l’ordre public à la tête de New York, celui qui a été baptisé le « maire de l’Amérique » après les attentats du 11 septembre 2001, est-il tombé si bas ?

Le fait est que la réputation d’incorruptibilité de Rudolph Giuliani n’a jamais tenu la route. Et Lou Reed n’était pas le seul à avoir une piètre opinion de Rudy pendant son séjour à la tête du bureau du procureur fédéral du SDNY, l’un des postes les plus prestigieux du ministère de la Justice américain.

En 1986, le chroniqueur conservateur du New York Times William Safire l’accusait déjà d’abuser de son pouvoir en orchestrant des fuites médiatiques pour forcer des témoins à collaborer. Et il reprochait à ses supérieurs de ne pas « contrôler » cet homme prêt « à faire n’importe quoi pour la publicité ».

En 2008, pas moins de 25 anciens procureurs fédéraux de la région de New York, dont plusieurs avaient travaillé pour le bureau du procureur fédéral du SDNY, allaient encore plus loin dans une lettre ouverte. Ils accusaient carrément Rudy d’une pratique illégale, soit le coulage médiatique d’informations obtenues devant un grand jury. Ils reprochaient également à celui qui était alors candidat présidentiel de « présenter une image gonflée et parfois gravement inexacte de ses réalisations en tant que procureur fédéral ».

« Les principales poursuites contre le crime organisé dont il prétend être à l’origine ont en fait été élaborées par le FBI, la plupart pendant le mandat de son prédécesseur. Les plus importantes affaires de corruption publique survenues pendant son mandat ont résulté d’une enquête menée par le procureur des États-Unis de Chicago, en Illinois. Les affaires de Wall Street ont été développées par la SEC [Securities and Exchange Commission], sur la base d’un renseignement fourni par une maison de courtage. Sous Giuliani, un nombre inhabituel d’affaires très médiatisées ont commencé par une fanfare habilement manipulée, mais se sont terminées par des non-lieux, des acquittements ou des revirements. »

« Rudy est un idiot »

Après l’affaire ukrainienne de 2019 et le feuilleton électoral de 2020, la plupart des Américains partagent désormais l’opinion de Lou Reed et de plusieurs anciens procureurs fédéraux au sujet de Rudolph Giuliani, deuxième avocat personnel de Donald Trump visé par un mandat de perquisition.

Le premier, Michael Cohen, purge aujourd’hui une peine de prison de trois ans et demi en résidence surveillée. Selon lui, l’enquête dont fait l’objet Rudy pourrait dépasser largement le cadre de l’affaire ukrainienne. « Nous n’avons aucune idée de l’ampleur de cette enquête […] parce que Rudy est un idiot. Et c’est ça, le problème, a-t-il déclaré sur CNN. Rudy boit trop, Rudy se comporte de manière tellement erratique que personne ne sait ce qu’il y a sur ses téléphones ou ce qu’il y a sur ses ordinateurs. »

La crédibilité de Michael Cohen n’est pas à toute épreuve. Mais son opinion sur le jugement de Rudolph Giuliani ne semble pas être contredite par les faits.

L’enquête sur Rudolph Giuliani découle de sa relation avec deux hommes d’affaires originaires de l’ex-URSS, Lev Parnas et Igor Fruman, qui l’ont aidé dans ses efforts pour obtenir le renvoi de l’ambassadrice Yovanovitch.

Rudy a admis avoir reçu la somme de 500 000 $ d’une entreprise dont Parnas, un Ukrainien naturalisé américain, était le PDG et qui portait le nom de… Fraud Guarantee. Parnas et Fruman ont été inculpés à New York en octobre 2019 pour avoir dissimulé l’origine étrangère de dons octroyés à des campagnes électorales américaines, dont 325 000 $ versés pour la campagne de réélection de Donald Trump.

Dans son article de 1986 sur Rudolph Giuliani, William Safire écrivait que « la corruption à New York n’est pas autant celle des hommes qui se font graisser la patte que celle des hommes trop ambitieux ». Lou Reed n’aurait pas mieux dit ou chanté.