(San Francisco) Le gouverneur de Californie Gavin Newsom a promulgué une loi censée permettre aux victimes de harcèlement ou de discrimination au travail de s’exprimer librement, au lieu d’être réduites au silence par des clauses de confidentialité très répandues aux États-Unis, notamment dans le secteur de la tech.

« Il a signé ! Les employés devraient toujours pouvoir parler, s’ils le désirent, quel que soit le type de harcèlement ou de discrimination subie au travail », s’est félicitée jeudi sur Twitter Connie Leyva, sénatrice démocrate de l’État et auteure de la nouvelle loi, qui entrera en vigueur en janvier 2022.

Baptisée « Silenced No More » – « Plus jamais réduit au silence » –, elle encadre plus strictement le recours aux NDA (pour « non-disclosure agreement »), ces « accords de non-divulgation » que les entreprises sont accusées d’utiliser à l’envi pour éviter les scandales.

Certains NDA seront désormais interdits : ceux qui empêchent les salariés de s’exprimer sur des actes illégaux commis sur le lieu de travail, ce qui pourrait donc encourager les lanceurs d’alerte potentiels en Californie.

Surtout, ces accords passés sous le sceau du secret ne pourront plus être imposés aux victimes de harcèlement ou de discrimination en fonction de leur couleur de peau, leur religion, un handicap physique ou mental, une pathologie, leur statut familial, leur sexe, leur genre, leur identité de genre, leur âge, leur orientation sexuelle et d’autres critères.

Ces victimes resteront libres de demander un NDA.

« Les travailleurs méritent mieux que d’être forcés de signer des accords qui protègent les coupables et font du mal aux victimes et à d’autres sur le lieu de travail », avait déclaré Connie Leyva dans un communiqué fin août.

« Braquer les projecteurs »

Les défenseurs de cette loi visent en particulier les géants des technologies, accusés de recourir trop facilement à cette méthode en cas de litige – notamment parce qu’ils en ont les moyens financiers.

« C’est une arme courante dans l’industrie », assure un employé de Google, interrogé par l’AFP sous couvert d’anonymat.

Membre du Alphabet Workers Union, le syndicat constitué en début d’année par des employés du groupe, il voit dans la nouvelle loi un « grand pas en avant ».

Car « les choses qui doivent changer ne changent que quand on braque les projecteurs dessus et quand on retire aux entreprises la possibilité de se servir des NDA pour dissimuler leurs mauvaises pratiques en termes de ressources humaines ».

Il cite le cas d’Emi Nietfeld, une ingénieure ayant travaillé chez Google de 2015 à 2019 et qui a raconté en avril dans le New York Times comment les ressources humaines ne l’ont pas soutenue lorsqu’elle a fait part d’un problème de harcèlement sexiste.

Après la parution de sa tribune, une pétition exigeant des changements a réuni plus de 2500 signatures. « Les représentants des ressources humaines n’ont pas dit oui à tout, mais on voit des évolutions dans leur façon de gérer les accusations de harcèlement », relate le salarié.

Les scandales de harcèlement sexuel ou de discrimination contre des minorités se sont multipliés ces dernières années dans la Silicon Valley, dans la foulée du mouvement #metoo.

Au point de conduire à des manifestations en personne, un mode d’action extrêmement rare dans des secteurs où les employés sont vivement encouragés à se méfier de la presse.

Monnaie d’échange

En novembre 2018, de Singapour à la Californie, des milliers d’employés de Google avaient observé un arrêt de travail pour dénoncer la gestion du harcèlement sexuel au sein de l’entreprise.

Fin juillet, environ 200 personnes ont dénoncé une culture du harcèlement sexiste et toxique devant le siège de leur employeur, l’éditeur américain de jeux vidéo Activision Blizzard.

La libération de la parole après #metoo a aussi conduit certains États à réécrire la législation sur les NDA, « trop souvent utilisés pour acheter le silence de quelqu’un », raconte Lauren Topelsohn, avocate à New York et spécialiste de la question.

La nouvelle loi californienne arrive ainsi après un texte similaire approuvé il y a trois ans, aussi rédigé par Connie Leyva, concernant les agressions et le harcèlement sexuel.

Mais les NDA ont leur utilité pour toutes les parties impliquées, tempère Lauren Topelsohn.

Quand une plainte est malhonnête ou diffamante, les accords secrets permettent aux entreprises d’éviter que d’autres abus similaires ne surgissent. Ils évitent aussi à des personnes accusées sans raison de devoir se défendre publiquement, continue-t-elle.

Et « pour les victimes de harcèlement qui font un procès à leur employeur, il peut être difficile de retrouver du travail. C’est malheureusement retenu contre vous », souligne-t-elle.

Malgré la nouvelle loi, les NDA pourraient donc conserver leur pouvoir de monnaie d’échange, car les victimes resteront face à un dilemme : le secret et l’argent, ou la prise de parole et les risques liés à cette publicité.