(New York) Matt Gaetz, représentant républicain de Floride et allié indéfectible de Donald Trump, ne voulait rien savoir d’un amendement à l’accord signé à la fin de février 2020 à Doha entre l’administration Trump et les talibans.

« Je pense que le meilleur jour pour ne pas faire la guerre en Afghanistan était quand nous l’avons commencée. Et le prochain meilleur jour est demain », a-t-il déclaré le 1er juillet 2020, lors d’un débat sur cet amendement au sein de la Commission des forces armées de la Chambre des représentants.

L’amendement, présenté par Jason Crow, représentant démocrate du Colorado et vétéran des guerres d’Irak et d’Afghanistan, ne changeait pas la date du retrait définitif des États-Unis et de leurs alliés après près de 20 ans de conflit en Afghanistan. Il posait cependant des conditions à ce retrait. Figuraient parmi celles-ci : l’examen des antécédents des 5000 talibans destinés à être libérés dans le cadre de l’accord ; la fin des relations entre les talibans et Al-Qaïda ; et le renforcement des capacités militaires de l’armée nationale afghane.

Le représentant Crow ne pensait pas que les Afghans étaient prêts à se débrouiller seuls. Ses craintes étaient largement partagées. Et son amendement a été adopté par les deux chambres du Congrès et inséré dans le budget annuel de la défense. Le 2 janvier 2021, le Congrès l’a même défendu en renversant le veto que Donald Trump avait mis, le 22 décembre 2020, au budget de la défense.

Mais il était déjà trop tard. Les talibans avaient poursuivi leur campagne militaire et étendu leur mainmise sur plusieurs régions de l’Afghanistan. Ce qui ne les avait pas empêchés de respecter la seule condition à laquelle Donald Trump semblait tenir : ne pas permettre que le territoire afghan soit utilisé pour planifier ou mener des actions menaçant la sécurité des États-Unis.

Des talibans à la frontière sud ?

Le respect des conditions suggérées par le représentant Crow aurait-il changé la donne en Afghanistan ? On ne le saura jamais. Mais ce qu’on sait, cependant, c’est que plusieurs élus républicains semblent souffrir d’amnésie depuis la prise de pouvoir des talibans.

Lors d’une entrevue sur Fox News, le chef des républicains à la Chambre, Kevin McCarthy, a laissé entendre que les 5000 talibans libérés de prison pourraient menacer le territoire américain en y accédant par la frontière sud.

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Le chef des républicains à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy

« [Le président Biden] a ouvert la frontière. Nous venons de libérer 5000 prisonniers en Afghanistan. […] Nous sommes moins en sécurité aujourd’hui qu’il y a 20 ans. […] Voilà ce qu’a fait cette administration, qui a passé son temps à dépenser des billions de dollars au lieu de se concentrer sur la protection des Américains », a-t-il dit en oubliant de mentionner le rôle de Donald Trump dans la libération de ces prisonniers.

Kevin McCarthy fait partie des opposants à l’amendement du représentant Crow qui critiquent le plus sévèrement Joe Biden ces jours-ci. Steve Scalise, numéro deux des républicains à la Chambre, en est un autre.

« Le président Trump voulait retirer les troupes américaines, il l’a dit haut et fort, mais il a aussi indiqué très clairement, avec les conditions qu’il a mises en place, qu’il ne laisserait pas les talibans prendre le contrôle du pays », a déclaré le représentant de Louisiane lors d’une conférence de presse à l’extérieur du Capitole.

Il s’agit d’un oubli ou d’un mensonge. Car aucune des conditions écrites de l’accord de Doha n’obligeait les talibans à mettre fin à leur campagne militaire, à renoncer à s’emparer de Kaboul ou à accepter de partager le pouvoir avec le gouvernement afghan en place.

« Je n’ai jamais pensé qu’il y aurait un président américain de mon vivant qui s’inclinerait devant un groupe terroriste », a déclaré de son côté sur Fox News le représentant républicain d’Indiana Jim Banks, en faisant allusion à Joe Biden et non à Donald Trump.

« Un accord de capitulation »

Certains anciens collaborateurs de Donald Trump sont moins conciliants ou amnésiques.

« Notre secrétaire d’État a signé un accord de capitulation avec les talibans », a déclaré le deuxième conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, H. R. McMaster, à propos de Mike Pompeo, lors d’une baladodiffusion animée par la journaliste Bari Weiss. « Cet effondrement remonte à l’accord de capitulation de 2020. Les talibans ne nous ont pas vaincus. Nous nous sommes vaincus nous-mêmes. »

Mike Pompeo, lui, préférerait sans doute oublier cet épisode. Aujourd’hui, l’ancien secrétaire d’État, auquel on prête des ambitions présidentielles, emploie le mot « bouchers » pour décrire les talibans et affirme ne leur avoir jamais fait confiance. Il y a un an, il qualifiait pourtant de « gentilhomme » son interlocuteur taliban de Doha et saluait ses efforts pour « réduire la violence » en Afghanistan, où les insurgés afghans et leurs alliés terroristes commettaient des dizaines d’attentats par jour.

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L’ex-secrétaire d’État des États-Unis, Mike Pompeo, pendant une rencontre avec le mollah Abdul Ghani Baradar, négociateur en chef des talibans, lors des discussions sur la mise en place du plan de paix signé par l’administration Trump, à Doha, au Qatar, en novembre 2020

« Je les ai regardés dans les yeux. Ils ont réitéré cet engagement », a-t-il également dit sur Fox News en faisant allusion à la promesse non tenue des talibans de rompre avec Al-Qaïda.

Il y a à peine un mois, Mike Pompeo semblait tout aussi sûr que les craintes des militaires américains à propos de la capacité du gouvernement afghan à résister aux talibans étaient exagérées. « Le président Trump a dû affronter les mêmes doutes au sein de l’armée », a-t-il dit. Trois jours plus tard, il accusait Joe Biden d’avoir démontré un « mauvais leadership ».

Autre manifestation d’amnésie ? Depuis le 14 août, plusieurs élus républicains répètent que l’évacuation des civils américains et afghans n’aurait pas donné lieu à des scènes de chaos et encore moins de carnage à l’aéroport de Kaboul si Donald Trump et son administration avaient mené l’opération.

On peut toujours mettre ces déclarations sur le compte de l’optimisme. Mais ces républicains ont-ils déjà oublié la façon dont l’administration Trump s’est comportée face à la pandémie, la plus grave crise de ses quatre années au pouvoir ?