Parmi les manifestants qui ont pris d’assaut le Capitole mercredi dernier, il y en avait qui portaient un t-shirt marqué « Camp Auschwitz », d’autres avaient un look de mercenaire et mettant de l’avant le Q du mouvement QAnon ou divers symboles nazis. Certains endossaient fièrement le slogan Make America Great Again ou brandissaient le drapeau de la Confédération sudiste.

Mais de tous ces personnages colorés, le public n’en a retenu qu’un seul : Jake Angeli, alias QAnon Shaman. Avec sa coiffe en fourrure de coyote, ses cornes de bison, son torse velu et son maquillage guerrier aux couleurs des États-Unis, Angeli est devenu en quelques heures le porte-étendard de cette tentative d’insurrection.

PHOTO SAUL LOEB, AGENCE FRANCE-PRESSE

Avec sa coiffe en fourrure de coyote, ses cornes de bison, son torse velu et son maquillage guerrier aux couleurs des États-Unis, Jake Angeli est devenu, en quelques heures mercredi, le porte-étendard de la tentative d’insurrection contre le Capitole.

Dans les heures qui ont suivi l’invasion du Capitole, la plupart des grands médias du monde entier se sont mis à parler de cet homme et de son allure qui, dans les années 70, aurait très bien pu inspirer l’un des chanteurs de Village People.

The Independent, L’Express, The Telegraph, The Guardian, The New York Times, Le Monde et plein d’autres journaux ont dressé un portrait de ce personnage aussi mystérieux qu’inquiétant. Cela nous permet de mieux saisir l’ampleur du phénomène QAnon et de tenter de voir dans quelle direction il va.

Qui est donc le fameux Jake Angeli érigé en vedette internationale instantanée ? Il s’agit d’un militant de 32 ans qui vit en Arizona. Sur le site web backstage.com, une fiche le présentait comme acteur et doubleur de cinéma. La fiche aurait été retirée au cours des dernières heures.

Durant la dernière année, Jake Angeli a été aperçu avec son curieux accoutrement dans plusieurs manifestations pro-Trump. Il ne se sépare jamais de son porte-voix dont il se sert pour hurler son admiration à l’égard du président américain déchu. Tout en partageant sa haine des médias, l’une des obsessions des militants de QAnon, le militant accepte guidounement de répondre aux questions des journalistes.

Dans diverses entrevues publiées sur les réseaux sociaux, il fait étalage de sa pensée qui rassemble divers scénarios complotistes, dont celui qui est la pierre angulaire de QAnon : Trump lutterait contre les pédophiles cannibales du Parti démocrate et c’est pour cela que l’élection aurait fait l’objet d’une fraude.

Il est fascinant de voir que Jake Angeli, qui carbure aux histoires de conspiration, est lui-même accusé d’être un conspirationniste par ses propres pairs. Certains militants pro-Trump croient qu’Angeli est en réalité un antifa qui se fait passer pour un supporter du président américain afin de les dénigrer. Angeli a été vu lors d’un rassemblement Black Lives Matter. Il était en fait présent pour s’opposer au point de vue de ce mouvement.

Trump est son héros, sa source d’inspiration. En mai 2020, il disait à une journaliste du média numérique AZ Central que « le président des États-Unis doit se sentir soutenu par ses supporters » et qu’il doit savoir « qu’il y a de bons Américains patriotiques qui voient tout ce qu’il est en train de faire ».

Il n’est pas surprenant que Jake Angeli ait autant attiré l’attention des médias depuis mercredi. Tout chez lui est archi étudié. D’abord le nom, QAnon Shaman, qui a inspiré son costume. Ce déguisement aurait pu prendre plusieurs formes. Mais visiblement, Jake Angeli est conscient de son sex-appeal et l’a conçu en fonction de son corps qu’il aime afficher.

Car si Jake Angeli souhaite mettre de l’avant le mouvement d’extrême droite dont il défend les principes, il veut d’abord faire la promotion de sa propre personne. S’il était hideux, je ne suis pas sûr qu’il susciterait autant d’attention.

Sur la page Wikipédia qui lui est consacrée, on explique la signification de ses nombreux tatouages, dont le Valknut qu’il arbore sur la poitrine. Ces triangles entrelacés signifient en langue germanique le « nœud des guerriers tués ou morts au combat ». Ce symbole est souvent récupéré par les groupes extrémistes.

Bref, rien n’est laissé au hasard.

Pour beaucoup de gens, Jake Angeli n’est qu’un vulgaire clown. Mais ce clown, symbole des tristes évènements de mercredi dernier, a secoué la planète entière. Caché derrière son maquillage et ses tatouages, il est venu nous dire qu’une voix voulait s’exprimer. Elle l’a fait à sa façon. Brutalement. Sauvagement.

Nous n’avons pas fini de voir des chamans habillés comme Davy Crockett escalader les murs des institutions et aller s’asseoir dans des fauteuils réservés à l’élite. Après des séances d’échauffement sur les réseaux sociaux, leur tanière de prédilection, ils seront de plus en plus nombreux à faire les manchettes.

On a le droit de rire de Jake Angeli et de son accoutrement. Comme on a le droit de penser que les négationnistes et les complotistes ne sont pas les crayons les mieux taillés de la boîte. Mais on a le devoir de comprendre ce qui se cache sous les cornes de bison de ces militants extrémistes.

L’angle mort de ces mouvements qui se multiplient partout sur la planète est sans doute lié à l’inégalité grandissante des conditions sociales. Parmi les manifestants de mercredi, on ne peut pas dire qu’il y avait beaucoup de membres du club de golf de Mar-a-Lago.

Ces militants ne réclament plus comme on le faisait dans les années 60 ou 70 de meilleures conditions sociales ou de plus gros salaires. Ils sont écœurés de ne plus être entendus et leur message passe par le rejet de l’autre, par la détestation des élites et du pouvoir de l’État, par des histoires de complots qui ne tiennent pas debout et qu’ils s’échangent sur des sites extrémistes dans le but de sentir qu’ils font partie d’un même groupe, d’une même force.

C’est cela que nous avons eu du mal à décoder.

Ce qui est renversant dans la prise du Capitole de mercredi, c’est que les manifestants ont été menés par un leader qui a tout mis en œuvre au cours des quatre dernières années pour augmenter les inégalités entre les classes sociales.

C’est sans doute là la plus grande qualité d’un dictateur : faire de ses victimes des mercenaires obéissants. Et arriver à leur faire porter des cornes pour aller au combat.