(Washington) Les États-Unis de Donald Trump affrontent une conjonction exceptionnelle de trois crises majeures, une pandémie, une profonde récession économique et un vif malaise racial, qui redéfinissent les grands enjeux politiques à cinq mois d’une élection présidentielle de plus en plus difficile à prédire.

Le pays se trouve-t-il à un moment de grande transformation sociale ? Ou alors les inégalités exacerbées par l’épidémie de coronavirus vont-elles persister ou même prospérer ?

La question s’est logiquement imposée au centre de la campagne présidentielle qui oppose le président sortant républicain à son adversaire démocrate Joe Biden.

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Joe Biden est devenu vendredi officiellement le candidat démocrate pour la présidentielle du 3 novembre.

Près de 110 000 Américains sont morts du coronavirus, le bilan humain le plus élevé au monde. Plusieurs dizaines de millions d’autres ont perdu leur emploi après la fermeture de l’économie décidée pour limiter la propagation de la maladie.

Dans le même temps, les villes américaines sont saisies par un large mouvement de protestation contre les inégalités raciales après la mort d’un Afro-Américain, George Floyd, causée par un policier blanc à Minneapolis.

Une confluence de crises qui est « un moment de vérité pour les États-Unis », selon les mots du philosophe Cornel West.

« C’est un moment très difficile », résume Daniel Gillion, professeur de sciences politiques à l’Université de Pennsylvanie.

Ces crises, dit-il à l’AFP, ont été « terribles » pour les Afro-Américains qui ont traditionnellement un moindre accès au système santé, sont beaucoup plus pauvres que leurs compatriotes blancs, et sont régulièrement victimes de brutalités policières.

« Je n’ai pas souvenir d’une période où les Noirs ont traversé de tels troubles, une telle souffrance et de telles difficultés », ajoute-t-il.

L’épidémie de COVID-19 a touché de façon disproportionnée la communauté afro-américaine. Et si le taux de chômage a enregistré une baisse surprise en mai à 13,3 %, il a augmenté à 16,8 % pour les Afro-Américains.

La blessure des inégalités raciales a été douloureusement ravivée par le drame de Minneapolis lorsque le policier blanc Derek Chauvin, filmé sur une vidéo, a appuyé son genou sur le cou de George Floyd jusqu’à l’étouffer et le tuer.  

« L’Amérique noire a un genou sur le cou depuis l’abolition de l’esclavage. Nous n’avons jamais été libres », s’emportait cette semaine Kayla Peterson, 30 ans, dans une manifestation à Minneapolis.

La loi et l’ordre

Le président Donald Trump aurait pu jouer le registre de l’apaisement. Il n’en a rien été et il est accusé d’avoir enflammé les passions avec une rhétorique martiale et des appels à « la loi et l’ordre » contre les « pilleurs » et les « incendiaires ».

Sa sortie provocatrice de la Maison-Blanche en début de semaine dernière pour aller poser, Bible en main, devant une église endommagée lors des manifestations avait pour but d’adresser un signal à son électorat traditionnel, les conservateurs et les évangéliques.

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« Dangereusement inapte » à la fonction présidentielle, a balayé Joe Biden qui, après plusieurs semaines d’absence pour cause de confinement dans sa maison de l’État du Delaware, semble décidé à saisir ce moment.

Le vétéran démocrate de 77 ans voit l’occasion de se présenter en rassembleur, en homme de conciliation capable de réunir les ailes progressiste et modérée de son parti tout en attirant des électeurs indépendants rebutés par Trump.

« Il est grand temps que la promesse portée par cette nation devienne une réalité pour tous ses habitants », disait-il vendredi sur Twitter.

Président « teflon » ?

Les experts estiment qu’en dépit de cette atmosphère de chaos, Trump est en bonne passe d’être réélu.

« Si le président parvient à parler de la question des races de façon constructive, s’il est capable de mener la reprise dans les domaines de la santé et de l’économie, il apparaîtra comme un président teflon, sur lequel rien n’accroche », note Daniel Gillion.

Donald Trump cependant a vu ces derniers temps une érosion de ses scores dans les sondages, particulièrement parmi deux groupes cruciaux pour sa réélection : les personnes âgées et les chrétiens évangéliques.

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Et le retard pris au début de la pandémie ainsi que les menaces de faire intervenir l’armée dans les rues des villes américaines pourraient lui aliéner une partie du vote des femmes.

Les femmes blanches sont « exaspérées par sa gestion de la pandémie », estime Nadia Brown, professeure associée de sciences politiques et d’études afro-américaines à l’Université Purdue.

Tout cela n’offre pas pour autant à Joe Biden une victoire sur un plateau. « Un chat a sept vies, mais Trump en a douze », conclut Nadia Brown.