(NEW YORK) Le « milliardaire mondialiste » George Soros se profile derrière un complot impliquant Bill Gates, Anthony Fauci, la Chine et peut-être les Clinton. Leur objectif : utiliser le nouveau coronavirus « pour établir un contrôle démographique radical ».

Qui le dit ? La chaîne One America News (OAN), aujourd’hui offerte dans 35 millions de foyers américains, soit un tiers du total. Mais ce n’est pas tout. Le journaliste Kristin Rose, qui a révélé jeudi dernier ce complot, a évoqué une autre théorie maléfique dans le même reportage : « On craint que l’État profond, la cabale démocrate et le lobby pharmaceutique travaillent de concert pour faire dérailler la réélection du président Trump et soumettre le peuple américain à un contrôle total. »

Faut-il se surprendre que Donald Trump soit devenu le plus grand et influent promoteur de cette chaîne établie à San Diego et fondée en 2013 par Robert Herring, homme d’affaires californien qui a fait fortune dans la technologie ? Faut-il s’étonner que le président fasse des pressions pour qu’OAN soit offerte dans tous les foyers américains ?

« Ma première réponse cynique est la suivante : qu’y a-t-il de nouveau ? »

Au bout du fil, Robert Thompson s’esclaffe. Le directeur du département de télévision et culture populaire de l’Université de Syracuse suit de près l’évolution de la relation entre Donald Trump et OAN.

Sur un ton plus sérieux, il ajoute : « Voici une administration qui fait elle-même dans la fausse information. Commencez la liste là où vous voulez. Ces jours-ci, les comédiens aiment beaucoup parler de l’eau de Javel. Mais l’idée de faire la promotion de la fausse information est pratiquement élevée au rang de politique au sein de cette administration. Et l’idée de promouvoir une chaîne qui s’est elle-même affichée comme étant partisane de Donald Trump fait également partie de l’orthodoxie de cette administration. »

Une chaîne « fondée sur les faits »

Ce n’était pourtant pas dans les plans originaux de Charles Herring, fils de Robert Herring et président d’OAN. En 2013, il disait vouloir offrir aux conservateurs américains une chaîne « fondée sur les faits » qui concurrencerait Fox News et présenterait de nouvelles voix. La plus connue de ces voix, Tomi Lahren, jeune, jolie, blonde et extrémiste, est vite passée chez Fox News.

Et OAN a abandonné son approche initiale dès le début de la campagne présidentielle de Donald Trump. La chaîne n’a pas seulement décidé de diffuser en direct tous les discours du promoteur immobilier. Son fondateur a également interdit la mention de tout sondage ne plaçant pas le candidat républicain en tête, selon le Washington Post.

Le 29 mars 2019, OAN a officialisé son rôle dans l’univers médiatique sur son compte Twitter : « Le président a récemment prononcé un discours remerciant ses supporteurs dans les médias. Pas une seule mention de One America News, un de ses PLUS GRANDS supporteurs. »

Et d’ajouter, dans la langue de Shakespeare : « @OANN calls bullshit… »

Donald Trump s’est repris depuis. « Incroyable reportage », a-t-il, fin décembre 2019, en vantant un documentaire surréaliste sur l’affaire ukrainienne réalisé par la correspondante d’OAN à la Maison-Blanche, Chanel Rion, avec la collaboration de… Rudolph Giuliani, avocat personnel du président.

Rion a également retenu l’attention en mars dernier en présentant un reportage fondé sur une autre théorie du complot : le nouveau coronavirus a été créé dans un laboratoire de Caroline du Nord financé par le Dr Fauci afin de détruire l’économie américaine.

Qu’à cela ne tienne : chaque fois qu’il en a l’occasion, Donald Trump permet à Chanel Rion de lui poser une question lors de ses points de presse. Ainsi, quand le président s’est vu reprocher d’utiliser l’expression « virus chinois », elle lui a demandé : « Considérez-vous le terme ‘‘mets chinois” comme raciste ? »

« Non, ce n’est pas raciste », lui a répondu le président avant de lancer son fiel sur les médias « corrompus » et « malhonnêtes ».

Solution de rechange à Fox News

Le président se sert aussi d’OAN pour rappeler Fox News à l’ordre.

« Nous avons d’excellentes solutions de rechange, dont @OANN », a-t-il tweeté le 11 avril dernier en se plaignant de la programmation de Fox News les samedi et dimanche après-midi.

CAPTURE D’ÉCRAN DE TWITTER

Le 26 avril, le président Donald Trump a gazouillé : « Les gens qui regardent Fox News en nombre record (merci au président Trump) sont en colère. Ils veulent une solution de rechange maintenant. Et moi aussi ! »

Le 26 avril, il a gazouillé à nouveau sur le sujet : « Les gens qui regardent Fox News en nombre record (merci au président Trump) sont en colère. Ils veulent une solution de rechange maintenant. Et moi aussi ! »

Des alliés de Donald Trump partagent ce souhait, selon Gabriel Sherman, auteur d’un livre sur Fox News. Lundi dernier, le journaliste du magazine Vanity Fair a annoncé qu’un groupe d’investisseurs associé à Donald Trump fils « a acquis une participation importante dans One America News Network, jeune chaîne d’information câblée qui met en vedette des animateurs comme Jack Posobiec, promoteur principal de la théorie du complot Pizzagate ».

Depuis, Sherman a dû « mettre à jour » son article et admettre que la transaction n’avait pas encore été conclue. Mais Robert Thompson, le spécialiste de l’Université de Syracuse, ne rejette pas la possibilité que des alliés du président, y compris des membres de sa famille, veuillent concurrencer Fox News ou jeter les bases d’un nouvel empire médiatique.

« Il en avait été question pendant la campagne présidentielle de 2016 », rappelle-t-il.

En attendant, les Américains devraient prendre au sérieux OAN, qui revendique le plus grand auditoire parmi les chaînes d’information câblées après Fox News, CNN et MSNBC (et devant CNN Headline News, Fox Business Chanel et CNBC, entre autres). C’est du moins l’avis d’un humoriste dont les analyses sont souvent plus perspicaces que celles de nombreux journalistes sérieux.

« Je sais qu’il est facile de considérer OAN comme une simple auto-parodie stupide et peu regardée », a déclaré John Oliver, animateur de l’émission de HBO Last Week Tonight, lors d’un topo récent consacré à OAN. « Mais s’il y a une leçon à tirer [de la pandémie de coronavirus], c’est que les choses toxiques qui commencent petites peuvent devenir grandes rapidement, et qu’il est dangereux de les ignorer. »