Son apparition inexpliquée avait suscité une fascination enthousiaste, une échappatoire inespérée dans un cycle de nouvelles déprimantes. Et puis soudain, pouf ! Le mystérieux prisme de métal qui avait été découvert dans une région désertique de l’Utah a disparu dimanche soir, sans qu’on sache encore comment il y était arrivé.

Mais une chose est sûre : la saga a ramené au premier plan la question de la protection des terres publiques américaines. Et pas de la plus belle façon, constate Jayson O’Neill.

« C’est dommage qu’on ait besoin de ce genre de truc viral pour éveiller les gens quant aux menaces qui pèsent sur les terres publiques », déplore au téléphone le coordonnateur du Western Values Project, un organisme établi au Montana voué à la défense et à la protection des terres publiques de l’Ouest américain.

Comme bien des gens, Jayson O’Neill a suivi avec curiosité la découverte, le 18 novembre, d’une étrange structure de métal dans un repli d’un canyon de l’Utah. Des employés du Bureau of Land Management (BLM), qui relève du gouvernement fédéral, accompagnés de patrouilleurs de l’État de l’Utah, l’ont repéré lors d’observations de troupeaux de mouflons à bord d’un hélicoptère. « Savez-vous ce que c’est ? », ont demandé les patrouilleurs de l’Utah en publiant des photos sur le réseau Instagram.

Haut d’un peu plus de trois mètres, le prisme triangulaire métallique était planté dans le sol, entouré des rochers rouges d’un canyon, sur une terre publique qui n’est pas un parc national. Pour les amateurs de science-fiction, l’inspiration de la forme ne faisait aucun doute : elle rappelle les monolithes extraterrestres du film 2001, l’Odyssée de l’espace, réalisé par Stanley Kubrick en 1968.

D’ailleurs, les autorités n’ont pas manqué d’y faire un clin d’œil en déclarant que l’occupation des terres publiques sans autorisation « est illégale, peu importe la planète dont vous venez ».

Car c’est bien un élément important à retenir de cette histoire, dit Jayson O’Neill : la personne qui a planté cette œuvre dans le désert n’avait pas le droit de le faire.

Ce n’est pas parce que c’est une terre publique que vous avez le droit d’y faire ce que vous voulez. Ce sont des terres qui appartiennent à tout le monde, à tous les Américains.

Jayson O’Neill

Et c’est peut-être ce qu’avaient en tête les personnes qui ont enlevé la structure. Sur Facebook lundi, le photographe Ross Bernards a raconté comment il a vu débarquer quatre hommes vendredi soir, alors qu’il se trouvait à cet endroit « perdu au milieu de nulle part ». Les hommes, a-t-il expliqué, ont poussé sur la structure pour la faire tomber, puis l’ont hissée sur une brouette avant de l’emporter. « Leave no trace » (« Ne laissez aucune trace »), a dit l’un d’eux à son attention, reprenant la formule répétée constamment aux visiteurs qui fréquentent les sites naturels.

> Lisez le récit de Ross Bernards sur Facebook

Fin de l’histoire ?

Le retrait du monolithe – comme d’ailleurs sa création – n’a pas été revendiqué publiquement. Rien n’indique que ceux qui l’ont enlevé sont ceux qui l’avaient installé vers 2015 ou 2016, selon les images satellites qui témoignent de son apparition. D’ailleurs, lundi, les représentants de l’artiste décédé John McCracken, soupçonné un moment d’être le créateur de l’œuvre, ont déclaré qu’ils ne croyaient plus qu’il en était l’auteur.

« Si vous demandez pourquoi nous ne les avons pas arrêtés, eh bien, c’est parce qu’ils avaient raison de l’enlever », écrit néanmoins Ross Bernards dans son récit.

Les autorités n’ont pas divulgué la position exacte de la structure lors de sa découverte. Mais des explorateurs amateurs ont tôt fait d’identifier l’endroit… et de le diffuser en ligne. Des images d’égoportraits croqués devant le fameux obélisque ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux, suscitant un intérêt grandissant à l’approche du congé de Thanksgiving, jeudi dernier.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @DAVIDSURBER

Des images d’égoportraits croqués devant le fameux obélisque ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux au cours du dernier week-end, dont celui de David Surber.

Dans un reportage de la chaîne ABC du Colorado publié samedi, la journaliste Deb Stanley décrit sa quête du monolithe sur des routes au sud de la ville de Moab, dans l’est de l’Utah. Elle raconte avoir croisé des véhicules immatriculés de plusieurs États, des cortèges de randonneurs et des camions pick-up juchés sur de hautes dunes de sable, tournoyant pour essayer de repérer l’endroit, causant « beaucoup de dommages » à la nature environnante.

Dans un communiqué publié dimanche, le BLM indique qu’un « nombre relativement élevé de personnes » a visité le site durant Thanksgiving, un endroit « qui n’a pas été aménagé » pour recevoir autant de visiteurs. Il n’y a pas, par exemple, de toilettes publiques, ni de stationnement à proximité, ni même de signal cellulaire. D’ailleurs, ces visiteurs ont « stationné leur voiture sur la végétation et laissé derrière eux des excréments ».

Ross Bernards raconte avoir vu « au moins 70 véhicules différents (dont un avion) » circuler dans le secteur.

Personne ne suivait un sentier, ou marchait à la file. On pouvait littéralement voir des gens essayer de s’approcher en provenance de toutes les directions.

Ross Bernards

Ces descriptions choquent Jayson O’Neill. Il déplore que les autorités gouvernementales responsables de la protection des terres publiques « n’aient pas rapidement enlevé le monolithe » dès sa découverte. Un autre exemple de « mauvaise gestion », dit-il, « à laquelle on a été habitués par l’administration Trump ».

« Il ne faut pas oublier que ce président, Donald Trump, a procédé à la plus grande réduction de la protection des terres publiques de l’histoire des États-Unis. Quand ces protections disparaissent, ça veut dire que beaucoup de manigances peuvent survenir. » Il compte maintenant sur le président désigné Joe Biden pour annuler ces décisions qui ont notamment ouvert des millions d’hectares de terres publiques à l’exploitation pétrolière, gazière et minière.

Quant au sort du mystérieux monolithe, Jayson O’Neill souhaite qu’à l’avenir, les créateurs et explorateurs – qu’ils soient terriens ou autres – s’abstiennent de s’approprier ainsi les sites naturels. « Il y a plein d’artefacts archéologiques là-bas qu’on peut visiter, sans avoir à créer une installation illégale en plein milieu du désert. »