Vendredi matin, sur Twitter, Hillary Clinton a écrit : « Et merci à toi, Stacey. Merci ».

Ce court message explique le résultat de l’élection présidentielle en Géorgie. Sauf un renversement lors du recomptage des votes, Joe Biden y aura défait Donald Trump, une première pour un candidat démocrate dans cet État depuis 1992. Ce n’est pas tout : la Géorgie pourrait de nouveau jouer les trouble-fête le 5 janvier prochain et, si la victoire de Biden se confirme, permettre au futur président de gouverner avec un Sénat à majorité démocrate.

Comment cela est-il possible ? Stacey Abrams est au cœur de cette réussite. Cette avocate et militante sociale de 46 ans a perdu par des poussières l’élection de 2018 pour le poste de gouverneur de la Géorgie. Son rival républicain, dans sa fonction précédente, a utilisé divers stratagèmes pour compliquer l’accès au vote des Afro-Américains et des gens les plus pauvres. Plusieurs observateurs soutiennent que cette stratégie répugnante lui a permis de gagner.

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Stacey Abrams, avocate et militante sociale de 46 ans, est au cœur des succès des démocrates en Géorgie.

Ébranlée, Abrams a fait son deuil durant une semaine. Puis, comme elle l’a expliqué au magazine Vogue, elle a retroussé ses manches et fondé Fair Fight, une organisation vouée à la mobilisation des électeurs et à la tenue d’élections équitables. Son mot d’ordre était simple : « Joignez-vous à notre combat afin d’assurer l’accès à la démocratie pour tous. »

Grâce notamment aux efforts d’Abrams, 800 000 nouveaux électeurs se sont inscrits à la liste électorale. Ils ont fait la différence dans cette élection.

Mais leur impact se répercute aussi dans la course au Sénat, où les deux sièges de la Géorgie étaient en jeu mardi dernier. Dans cet État, le gagnant doit obtenir une majorité simple des voix. Sinon, un second tour est organisé.

Cela se produira assurément dans une des deux courses, où le démocrate Raphael Warnock a terminé en tête avec 32,9 % des voix, devant deux républicains (26 % et 20 %). Dix-sept autres candidats (!), dont des démocrates, étaient de la partie.

Dans l’autre course, le sénateur républicain David Perdue a frôlé le chiffre magique, obtenant 49,8 % devant un politicien doué de 34 ans, Jon Ossoff (47,9 %). Ces résultats ont été confirmés vendredi soir, un deuxième tour sera donc nécessaire.

Un triomphe démocrate dans les deux courses – un défi colossal, admettons-le – créerait une égalité au Sénat : 50 démocrates et 50 républicains. La future vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, détiendrait alors le vote décisif.

Le Sénat devant approuver les projets de loi, en plus de nombreuses nominations dont celles à la Cour suprême, on comprend vite pourquoi le 5 janvier sera aussi une journée cruciale dans la politique américaine. Les deux partis investiront des millions dans ces campagnes électorales.

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Bien sûr, Biden n’a pas réussi le raz-de-marée espéré. Et si le Sénat demeure à majorité républicaine, il n’aura pas les coudées franches pour gouverner. Mais aujourd’hui, cela m’importe peu.

L’essentiel, c’est le départ probable de la Maison-Blanche de Donald Trump, cet homme qui menace la démocratie américaine. Les États-Unis doivent, peu à peu, redevenir le pays qu’on connaît, avec ses défauts immenses, mais aussi ses qualités exceptionnelles.

Peu importe quel parti contrôlera le Sénat, ce changement s’opère déjà. Il suffit de comparer les déclarations publiques de Biden et de Trump jeudi, alors que l’avance du président fondait comme neige au soleil. Le premier a dégagé de la prestance et de l’autorité morale. Le second s’est vautré dans son cirque habituel, insultant des centaines d’Américains occupés à comptabiliser les votes. Diviser plutôt qu’unir demeurera sa stratégie jusqu’au bout.

Imaginez combien la scène politique américaine s’apaisera lorsque Trump quittera Washington. Il demeurera actif sur Twitter et se moquera de Biden. Mais ses attaques n’auront plus le même poids. Elles s’ajouteront au bruit ambiant plutôt qu’en être le moteur. Et peu à peu, la température baissera dans tout le pays. Comme un grand ouf de soulagement.

Ah oui, mais le « trumpisme » ne demeurera-t-il pas un courant politique dominant ? Pas sûr.

Le « trumpisme », ce n’est pas la droite traditionnelle, même celle incarnée par le Tea Party à une époque pas si lointaine.

Le « trumpisme », c’est plutôt le rejet de l’autre à travers des sous-entendus racistes et misogynes. C’est l’admiration – presque de l’envie – pour les dictateurs, le rejet de la science et un ego surdimensionné. C’est le mensonge comme outil de communication et une délectation à se moquer de ses adversaires, tant pour leurs idées que leur apparence physique.

Traitez-moi de naïf, mais je refuse de croire que ces valeurs déplorables sont désormais inscrites à jamais dans l’ADN du Parti républicain.

Elles sont plutôt celles d’un homme qui, en raison du prestige de sa fonction, leur a conféré un semblant de normalité. Il a, hélas, fait ressortir le pire chez ses partisans. Mais cette influence ne sera pas éternelle.

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Si sa victoire se confirme, Joe Biden prêtera serment le 20 janvier. Les prochaines semaines seront consacrées à la transition, période où l’administration sortante met le futur gouvernement au parfum des dossiers chauds.

Si Trump nuit au bon déroulement de ce processus historique, la majorité du peuple américain, dont le sens de l’État est plus développé que le sien, le lui reprochera.

Cela pourrait coûter cher à son parti le 5 janvier prochain au second tour des élections sénatoriales en Géorgie. S’ils décident de se coller à Trump, les dirigeants républicains risquent de tout perdre, même leur majorité au Sénat. Parce que sur le terrain, Stacey Abrams n’a pas dit son dernier mot.

Note : En plus des deux sièges en Géorgie, le résultat des élections sénatoriales demeure en suspens en Caroline du Nord, où le sénateur républicain sortant mène par 1,8 % avec 97 % des voix comptabilisées, et en Alaska, où la victoire républicaine ne semble pas en doute.