Un seul des trois policiers de Louisville ayant ouvert le feu à répétition lors d’une perquisition bâclée qui a coûté la vie à Breonna Taylor devra rendre des comptes en justice pour avoir « mis en danger la vie d’autrui ».

Le grand jury chargé de revoir les éléments de preuve relativement à sa fin tragique a conclu qu’il n’y avait pas matière à porter d’accusations de meurtre contre les représentants des forces de l’ordre mis en cause, faisant fi des appels de la famille de la jeune Afro-Américaine de 26 ans et de nombreux porte-étendard du mouvement Black Lives Matter.

Le procureur général du Kentucky, Daniel Cameron, qui a enquêté pendant des mois sur l’affaire, a indiqué qu’il avait cherché depuis le début à se concentrer sur les faits.

« Si on agit simplement sur la base de nos émotions ou de notre sentiment d’indignation, il n’y a pas de justice possible », a-t-il plaidé mercredi en conférence de presse, sachant que l’annonce de la décision risquait de déboucher sur des manifestations émaillées d’affrontements avec les forces de l’ordre qui n’ont pas tardé à se concrétiser dans les rues de la ville.

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Peu avant 21 h, des policiers ont fondu sur Jefferson Square, où étaient rassemblés quelques centaines de manifestants, pour les disperser avant l’heure du couvre-feu décrété par les autorités de Louisville.

La police a annoncé en soirée que deux policiers avaient été blessés par balle et qu’un suspect avait été arrêté. Le bureau du FBI à Louisville a indiqué mener l’enquête.

Les autorités avaient aménagé mardi un périmètre de sécurité limitant de façon draconienne la circulation au centre-ville de Louisville, et des commerçants avaient barricadé leurs vitrines avec des contreplaqués par crainte de dérapages.

L’initiative a notamment restreint l’accès à un square qui sert depuis des mois de point de ralliement pour les manifestants. Un monument improvisé formé de fleurs et de pancartes en l’honneur de Breonna Taylor y a été aménagé.

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Un monument improvisé formé de fleurs et de pancartes en l’honneur de Breonna Taylor a été aménagé dans un square de Louisville qui sert depuis des mois de point de ralliement pour les manifestants.

Plusieurs résidants de Louisville rencontrés dans le secteur par La Presse avant l’annonce du procureur général ont souligné que la mort de la jeune femme représentait une manifestation flagrante de la violence policière à laquelle la population noire de la ville est historiquement confrontée.

« C’est comme le Far West ici »

Tim Compton, ex-militaire de 56 ans, a notamment prévenu qu’il ne pourrait pas y avoir de justice sans mise en accusation des policiers.

« Je ne comprends pas pourquoi ils sont si prompts à vouloir utiliser une force létale […] On dirait que c’est comme le Far West ici. Ils tirent d’abord et ils discutent ensuite », a fustigé M. Compton.

Le procureur général a précisé que l’agent Brett Hankison avait été mis en accusation pour avoir tiré à plusieurs reprises de manière inconsidérée en risquant de mettre en danger les personnes dans les appartements voisins de celui de Mme Taylor, mais non pas pour avoir touché la jeune femme.

Il a précisé qu’un des autres agents, selon une analyse balistique, avait probablement tiré la balle qui lui a coûté la vie.

Ces policiers ont agi pour leur part en légitime défense, a affirmé M. Cameron en relevant que le conjoint de Mme Taylor, Kenneth Walker, qui se trouvait avec elle au moment de la perquisition, avait ouvert le feu dans leur direction alors qu’ils pénétraient dans l’appartement.

Il a affirmé par ailleurs que les agents avaient annoncé leur présence même s’ils avaient obtenu un mandat de type controversé leur permettant d’entrer sans le faire.

La famille de Breonna Taylor assure pour sa part que la jeune femme et son conjoint n’ont rien entendu et que ce dernier a tiré vers la porte parce qu’il pensait avoir affaire à des voleurs.

« Je pense que j’aurais fait la même chose que lui dans les mêmes circonstances », a relevé M. Compton.

M. Walker a subséquemment été accusé de tentative de meurtre contre les agents, mais l’accusation a finalement été retirée. Aucune preuve du trafic de stupéfiants qui était évoqué pour justifier l’intervention dans l’appartement n’a par ailleurs été découverte.

Une décision « scandaleuse » et « offensante »

La ville, reconnaissant un cafouillage, avait décidé de renvoyer l’agent Hankison pendant l’été et a annoncé la semaine dernière le règlement d’une poursuite civile avec la famille de Breonna Taylor prévoyant le versement d’une somme de 12 millions de dollars.

L’entente prévoyait par ailleurs plusieurs réformes des méthodes de la police, incluant un meilleur encadrement du processus d’obtention des mandats de perquisition.

La famille de la jeune femme avait précisé que l’entente n’enlevait rien à la nécessité de procédures criminelles contre les agents.

L’avocat civil qui la représente, Ben Crump, a indiqué mercredi que la décision du grand jury était « scandaleuse et offensante », puisqu’elle prévoyait des accusations pour les tirs touchant les appartements voisins de celui de Breonna Taylor, mais rien pour le « meurtre » de cette dernière.

Le directeur de la section locale de l’American Civil Liberties Union, Michael Aldridge, a déploré pour sa part le fait que la justice américaine a encore une fois refusé de tenir les services de l’ordre responsables de la mort d’une « jeune femme afro-américaine ».

Alors que le président des États-Unis se félicitait du « travail fantastique » effectué par Daniel Cameron, un républicain, le candidat démocrate Joe Biden a souligné que la décision annoncée mercredi ne répondait pas aux demandes de justice de la population.

Le maire de Louisville, Greg Fisher, a salué la mise en accusation de l’agent Hankison et relevé que d’autres sanctions pourraient découler d’une enquête menée par le FBI et de procédures disciplinaires en cours.

« Quoi qu’il advienne, il y a des politiques et des procédures qui doivent changer », a plaidé l’élu, qui a invité ses concitoyens à « se tourner l’un vers l’autre plutôt que l’un contre l’autre ».

— Avec l’Agence France-Presse