(NEW YORK) Les Américains ont écrit une page d’histoire en 2008 en élisant à la Maison-Blanche le premier président de couleur de leur histoire. Ils pourraient en signer une autre en novembre prochain en confiant le poste de vice-président à une femme.

Tel est le choix que Joe Biden a proposé à ses compatriotes mardi. Cinq mois après avoir promis de faire une place à une femme sur le « ticket » du Parti démocrate, l’ancien vice-président a arrêté son choix sur la grande favorite, Kamala Harris, qui passe déjà à l’histoire en tant que première Noire à tenir le rôle de colistière d’un grand parti américain.

Même les Montréalais peuvent s’enorgueillir de cette première qui met en scène une Californienne de 55 ans ayant passé une partie de sa jeunesse parmi eux.

Joe Biden a annoncé sur Twitter et par texto ce choix qui revêt une importance accrue en raison de son âge. Aujourd’hui âgé de 77 ans, il pourrait renoncer à solliciter un second mandat, s’il est élu le 3 novembre. Dans un gazouillis, il a vanté le travail de sa colistière au temps où elle et son défunt fils, Beau, occupaient le même poste dans leur État respectif.

« Quand Kamala était procureure générale, elle a travaillé étroitement avec Beau. Je les ai observés alors qu’ils s’attaquaient aux grandes banques, aidaient les travailleurs et protégeaient les femmes et les enfants contre les abus. J’étais fier à l’époque, et je suis fier maintenant de l’avoir comme partenaire dans ma campagne », a tweeté l’ancien vice-président.

Kamala Harris fera sa première apparition aux côtés de Joe Biden mercredi à Wilmington, dans l’État du Delaware, où vit le candidat démocrate.

« Joe Biden peut rassembler le peuple américain parce qu’il a passé sa vie à se battre pour nous, a déclaré sur Twitter la sénatrice élue en 2016. Et comme président, il bâtira une Amérique qui est à la hauteur de nos idéaux. »

Attrait auprès des femmes

Le choix de Kamala Harris ne représente pas une surprise. Son parcours la plaçait parmi les colistières potentielles les plus qualifiées avec les sénatrices Elizabeth Warren et Amy Klobuchar. Et même si sa propre campagne à l’investiture démocrate n’a pas fait long feu, elle a produit un des moments les plus mémorables de la course. De toute évidence, Joe Biden lui a pardonné de l’avoir surpris en l’attaquant sur la question raciale lors de leur tout premier débat télévisé.

« Kamala Harris était la mieux connue parmi les colistières potentielles, rappelle Susan MacManus, politologue émérite de l’Université de Floride du Sud. Elle a mieux supporté l’examen intense auquel ces femmes ont été soumises. »

Elle apporte au ticket un fort attrait auprès de l’électorat féminin, un grand talent de débatteuse, un bon réseau de donateurs et une connaissance approfondie des questions intérieures et étrangères auxquelles fait face le pays en raison de son expérience en tant que procureure générale d’un État vaste et diversifié, et sénatrice.

Susan MacManus, analyste politique

Khadijah White, professeure de journalisme à l’Université Rutgers, au New Jersey, reconnaît de son côté la nature « historique et symbolique » du choix de Joe Biden. Fille d’un père originaire de la Jamaïque et d’une mère originaire de l’Inde, Kamala Harris n’est pas seulement la première colistière de couleur. Elle est également la première personne de descendance asiatique ou antillaise à briguer la vice-présidence.

« Mais ce ticket aura du mal à attirer l’appui de plusieurs électeurs jeunes ou progressistes », a estimé Khadijah White en décrivant Kamala Harris comme « un choix de l’establishment » qui ne fera « pas trop de vagues ». « Les jeunes et les progressistes sont susceptibles de voter pour Biden et Harris s’ils finissent par voter. Mais la COVID-19 rendra la participation électorale plus difficile dans un pays qui ne vote pas beaucoup. Dans une course qui dépendra de la motivation des électeurs, je pense que les démocrates ont vraiment raté l’occasion de dynamiser et de mobiliser les progressistes. »

« La gauche radicale »

Dans sa réaction initiale à la sélection de Kamala Harris, l’équipe de réélection de Donald Trump a fait fi des critiques des progressistes, qui reprochent notamment à la démocrate ses positions modérées, voire conservatrices, comme procureure générale de Californie. Elle a diffusé une pub affirmant que la sénatrice avait rejoint « la gauche radicale » lors de sa campagne à l’investiture « en embrassant le plan de Bernie Sanders en faveur d’une médecine socialisée, en réclamant des billions de dollars en nouveaux impôts et en attaquant Joe Biden pour ses positions racistes ».

« Les électeurs ont rejeté Harris », dit le narrateur de cette pub publiée sur le fil Twitter de Donald Trump. « Ils ont correctement reconnu une hypocrite, mais pas Joe Biden. Il n’est pas si intelligent que ça. »

Un peu plus tard, lors d’un point de presse à la Maison-Blanche, le président s’est dit « surpris » par le choix de Joe Biden.

PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Donald Trump, président des États-Unis

Elle a été très médiocre pendant la primaire, comme vous le savez.

Donald Trump

Il a également reproché à la sénatrice de s’être montrée « extraordinairement méchante » à l’endroit du juge Brett Kavanaugh lors de son audition devant le Sénat pour sa confirmation à la Cour suprême. Et il l’a accusée d’avoir manqué de respect envers Joe Biden.

« Elle a traité Joe Biden de raciste », a-t-il déclaré faussement.

Lors d’un débat télévisé en juin 2019, Kamala Harris avait notamment critiqué la position de Joe Biden sur le « busing », l’organisation controversée du transport scolaire pour assurer la mixité raciale des écoles publiques dans les années 70.

« Je ne crois pas que vous êtes raciste », avait-elle précisé.

À la suite de ce débat, Kamala Harris avait grimpé brièvement dans les sondages. Elle s’était cependant laissée distancer par les meneurs, en raison notamment de son incapacité à justifier son attaque sur un dossier classé où sa position, au fond, n’était pas différente de celle de Joe Biden.

Jeunesse à Montréal

Lors de ce débat, Kamala Harris avait rappelé qu’elle avait profité, jeune fille, de cette politique de « busing » pour fréquenter une bonne école primaire de Berkeley, près de sa ville natale d’Oakland. Comme elle le rappelle dans son autobiographie, The Truths We Hold : An American Journey, elle était « heureuse » dans ce coin de la Californie où sa mère, divorcée de son père, avait trouvé refuge au sein d’une communauté afro-américaine vibrante que fréquentaient l’écrivain James Baldwin, le poète LeRoi Jones et la chanteuse Nina Simone, entre autres artistes et militants de toutes les causes de l’époque.

« Mais quand j’étais [en sixième année], nous avons dû partir », écrit-elle dans son livre paru en 2019. « Ma mère s’était vu offrir une occasion unique à Montréal : enseigner à l’Université McGill et poursuivre ses recherches [sur le cancer] à l’Hôpital général juif. C’était une étape excitante dans la progression de sa carrière. Ce n’était pas, cependant, une occasion excitante pour moi. J’avais 12 ans, et l’idée de quitter la Californie ensoleillée en février, au milieu de l’année scolaire, pour aller dans une ville étrangère d’expression française ensevelie sous 12 pieds de neige m’était pénible, c’est le moins qu’on puisse dire. »

PHOTO STÉPHANE BLAIS, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Kamala Harris dans l’album des finissants de l’école Westmount High School, en 1981

Kamala Harris ne dit rien dans son autobiographie sur ses années d’études à l’école secondaire Westmount High School. Mais les responsables de son alma mater de Montréal n’ont pas moins bombé le torse sur Twitter mardi.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE LA WESTMOUNT HIGH SCHOOL

« Nous ne pourrions être plus fiers de la diplômée du WHS Kamala Harris, future vice-présidente des États-Unis ! », a tweeté l’école Westmount High School.

« Nous ne pourrions être plus fiers de la diplômée du WHS Kamala Harris, future vice-présidente des États-Unis ! »

Des candidates remarquables

Hillary Clinton

PHOTO DOUG MILLS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Hillary Clinton est la première et seule femme, à ce jour, à avoir représenté l’un des deux grands partis dans une course à la présidence américaine. Impliquée en politique dès l’âge de 17 ans, avocate aguerrie, elle devient première dame des États-Unis en tant que femme de Bill Clinton, qui accède à la présidence en 1993. Au terme des mandats de son mari, durant lesquels elle a été très impliquée dans la sphère politique, elle devient sénatrice de l’État de New York. Elle tente pour la première fois sa chance aux primaires présidentielles démocrates en 2008, mais elle est battue par Barack Obama, qui la nommera par la suite secrétaire d’État du cabinet présidentiel. L’investiture démocrate de 2016 est la bonne : elle ravit les primaires à son concurrent Bernie Sanders, mais n’accède finalement pas à la Maison-Blanche, occupée depuis par le républicain Donald Trump.

Sarah Palin

PHOTO MIKE BLAKE, ARCHIVES REUTERS

En 2008, le démocrate Barack Obama sélectionne Joe Biden en tant que colistier et candidat au poste de vice-président des États-Unis. La même année, l’aspirant président républicain John McCain choisit pour colistière une femme quasi inconnue sur le plan national : Sarah Palin, gouverneure de l’Alaska. Elle est la première femme et la plus jeune gouverneure que cet État ait connue. Elle est la deuxième femme candidate à la vice-présidence pour un grand parti. Elle sera de nombreuses fois critiquée pour son ignorance dans plusieurs domaines, notamment en politique internationale. Après la défaite de John McCain aux mains de Barack Obama, Sarah Palin démissionne de son poste de gouverneure de l’Alaska. Mardi, Sarah Palin a conseillé à Kamala Harris sur Instagram de « ne faire confiance à personne de nouveau », de « se battre pour garder son équipe » et de « ne pas se faire museler ».

Geraldine Ferraro

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

En 1984, le candidat démocrate à la présidence, Walter F. Mondale, crée la surprise en nommant une femme pour colistière : Geraldine Ferraro. Représentante démocrate du district de l’État de New York, l’avocate de formation devient la première femme de l’histoire des États-Unis à se porter candidate d’un grand parti à la vice-présidence américaine. Même si la nomination de Ferraro a un impact majeur sur les intentions de vote, Mondale ne gagne pas son pari et est battu par le républicain Ronald Reagan et son colistier… George H. W. Bush (père). Après la défaite, Mme Ferraro reste dans la sphère politique. Elle devient commentatrice politique et écrit une autobiographie. En 2008, elle est trésorière de la campagne présidentielle d’Hillary Clinton, mais une déclaration au sujet de Barack Obama lui coûte son poste. « Si Barack Obama était un homme blanc, il ne serait pas là où il est maintenant […] et s’il était une femme (quelle que soit sa race), il ne serait pas là où il est, il se trouve qu’il a beaucoup de chance d’être qui il est », avait-elle déclaré. Atteinte du cancer du sang, elle est morte en 2011.

Shirley Chisholm

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Shirley Chisholm, en 1972, est devenue la première femme démocrate à faire partie de la course officielle pour représenter le parti à la Maison-Blanche.

Shirley Chisholm, en 1972, devient la première femme démocrate à faire partie de la course officielle pour représenter le parti à la Maison-Blanche. Elle est aussi la première femme noire candidate à l’investiture d’un grand parti. Elle avait aussi été la première femme afro-américaine élue au Congrès en 1968.

Margaret Chase Smith

PHOTO GEORGE TAMES, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Margaret Chase Smith a été la première femme en nomination au poste d’aspirant à la présidence au sein d’un grand parti. Elle a participé aux primaires républicaines en 1964. Elle apparaît ici en 1953.

Margaret Chase Smith est la première femme en nomination au poste d’aspirant à la présidence au sein d’un grand parti. Elle a participé aux primaires républicaines en 1964. Elle est la première femme élue successivement à la Chambre des représentants et au Sénat. Elle a d’ailleurs été la première sénatrice du Maine.