Le scénario est devenu presque routinier. Donald Trump fait une déclaration ou un geste qui soulève la controverse ou la risée. Peu après, une ou deux publicités apparaissent sur les réseaux sociaux ou à la télévision, tentant d’exploiter la gaffe ou le scandale. Détail important : leurs créateurs ne sont pas démocrates, mais républicains.

Ce scénario s’est répété samedi. La veille au soir, Donald Trump avait commué la peine de Roger Stone, son vieil ami et conseiller politique, qui avait été condamné à 40 mois de prison pour mensonges au Congrès et subornation d’un témoin dans le cadre de l’enquête russe. 

Un groupe appelé Republican Voters Against Trump a d’abord diffusé sur Twitter une pub intitulé « La république bananière de Trump » qui s’ouvrait sur ces mots : « Dans l’Amérique de Trump, un criminel qui ment pour protéger Trump est libéré. » Le Lincoln Project, autre groupe républicain, a enchaîné avec une annonce accusant le locataire de la Maison-Blanche de diriger une « entreprise criminelle » et d’être « le président le plus corrompu de l’histoire des États-Unis ».

La politique américaine n’a jamais rien connu de semblable. Et le phénomène devrait prendre de l’ampleur. Au moins deux autres groupes créés par des républicains – 43 Alumni for Biden et Right Side PAC – se promettent également de diffuser des pubs destinées à convaincre des électeurs de Donald Trump de le virer en novembre prochain.

Les pubs des groupes républicains déjà à l’œuvre connaissent un succès bœuf sur les réseaux sociaux, où les contempteurs du président les vantent et les rediffusent tant et plus. Sur Twitter seulement, les vidéos du Lincoln Project ont été vues plus de 120 millions de fois en juin.

Mais au-delà de leur viralité, ces pubs sont-elles vraiment efficaces ? Gagneront-elles un seul électeur républicain à la cause de Joe Biden, candidat virtuel du Parti démocrate à la présidence ?

Nuire à la « marque Trump »

« Elles sont incroyablement dures », répond Kent Syler, politologue à la Middle Tennessee State University, en parlant des pubs du Lincoln Project, groupe le plus connu. « Je suis sûr que de nombreux supporteurs républicains de Trump les trouvent mesquines. »

Or, si l’expert doute que ces pubs influenceront la masse républicaine, il croit en revanche qu’elles pourraient contribuer à nuire à la « marque Trump ».

« La plupart de ces pubs le tournent en ridicule. C’est une stratégie que Trump utilise souvent contre ses adversaires. C’est la première fois que je vois quelqu’un essayer vraiment de lui rendre la monnaie de sa pièce. Et ça pourrait être efficace », dit le professeur Syler.

Une chose est certaine : le Lincoln Project est composé de républicains rompus aux batailles politiques. On y retrouve notamment Rick Wilson, créateur de pubs pour plusieurs candidats du Grand Old Party, dont Rudolph Giuliani ; Steve Schmidt, directeur des campagnes d’Arnold Schwarzenegger et de John McCain ; John Weaver, stratège principal de l’ancien gouverneur d’Ohio John Kasich ; et George Conway, mari de la conseillère de la Maison-Blanche Kellyanne Conway.

Le groupe Republican Voters Against Trump compte aussi des vétérans aguerris, dont Mike Murphy, ancien stratège de John McCain et de Jeb Bush, entre autres, et Tim Miller, ancien porte-parole du Comité national du Parti républicain. Un des nouveaux groupes républicains, 43 Alumni for Biden, jouit par ailleurs du soutien de centaines d’anciens responsables de l’administration de George W. Bush, 43e président.

Tim Miller a résumé ainsi l’objectif de son groupe, qui est partagé par d’autres : « Ce que nous voulions créer, c’est un mouvement parmi les républicains de la base pour leur donner un sentiment de communauté et un sentiment d’encouragement à quitter ce président. Il s’agit de fournir un contexte permettant aux républicains de dire pour la première, voire la seule fois, qu’ils ne voteront pas pour un républicain. »

« Un référendum sur stéroïdes »

Or, à en juger par le plus récent sondage Gallup, les efforts de ces groupes sont vains et peut-être même contre-productifs. En juin, Donald Trump a récolté 91 % d’opinions favorables chez les républicains, une hausse de 6 points de pourcentage par rapport au mois précédent.

Il faut dire que les moyens financiers d’un groupe comme le Lincoln Project demeurent modestes. Ses stratèges n’ont dépensé que 2,4 millions de dollars pour diffuser des pubs à la télévision, selon les données du Campaign Media Analysis Group. À titre comparatif, Priorities USA, le plus important comité d’action politique démocrate, a déjà consacré 20 millions de dollars à des pubs télévisées.

Ces pubs mettent l’accent sur des questions touchant surtout à l’économie et à la santé. Elles ne suscitent pas l’admiration ou l’enthousiasme de la twittosphère et ne font pas réagir Donald Trump, contrairement à celles du Lincoln Project.

Mais elles ont vraisemblablement contribué davantage à la chute de popularité de Donald Trump chez les électeurs indépendants que celles du Lincoln Project.

Anna Caprara, stratège démocrate devenue cheffe de cabinet du gouverneur d’Illinois, a offert cette analyse la semaine dernière sur Twitter : « Les bons créateurs de pubs sont ceux qui mettent de côté ce qui les branche personnellement ou ce qui branche la twittosphère et privilégient les messages qui influencent les électeurs. »

Parfois, a-t-elle précisé, ces messages peuvent paraître « ennuyeux ».

N’empêche : on n’a pas fini d’entendre parler de ces groupes républicains anti-Trump qui veulent en finir avec le 45e président. D’autant que leurs stratèges n’ont peut-être pas complètement tort sur l’allure que prendra l’élection présidentielle de 2020.

« Je pense que plusieurs de ces stratèges ont conclu, et je dois dire que je suis d’accord avec eux, que cette élection sera un référendum sur Donald Trump », dit Kent Syler, politologue du Tennessee. « Les réélections sont souvent un référendum sur le président sortant, et je pense que celle de Donald Trump sera un référendum sur stéroïdes. »

Reste à voir combien de républicains se joindront aux démocrates pour dire non à Donald Trump.