(ALBANY, New York) Même si la majorité des Américains appuie les mesures de confinement, la colère gronde chez ceux qui sont en désaccord avec les autorités. Qui sont-ils ? Que réclament-ils ? Notre collaborateur s’est rendu cette semaine à Albany, où des manifestants s’étaient donné rendez-vous.

New York — Assis dans un pick-up orné d’un drapeau Betsy Ross créé lors de la guerre d’Indépendance, Bob et John, deux amis dans la soixantaine, attendent le début de l’opération Gridlock. Ce nom a été donné à la manifestation anti-confinement qui se mettra en branle sous peu, en ce mercredi 22 avril, autour du capitole de l’État de New York, à Albany.

John cultive le maïs sucré dans la vallée Mohawk, région prise en sandwich entre les monts Adirondacks et Catskills. En ce printemps pandémique, il craint de se retrouver dans la même situation que ses collègues de Floride.

« Ils sont obligés de jeter leur maïs sucré parce que les restaurants ne sont pas ouverts », dit-il.

Et il ne comprend pas pourquoi les mesures de confinement qui se justifient, selon lui, dans une ville comme New York sont imposées aux gens de sa région.

« Nous avons plus de vaches que d’habitants », dit-il.

Bob, enseignant retraité de Syracuse, ajoute : 

« Je n’aime pas que le gouvernement me dise quoi faire. Nos deux pères ont combattu durant la Seconde Guerre mondiale. Ils se retourneraient dans leur tombe s’ils savaient ce qui se passe dans cet État. »

Quelques minutes plus tard, par-dessus les klaxons des véhicules défilant devant le capitole, Honesty Dewolf, 26 ans, explique la raison pour laquelle elle s’est déplacée d’Ithaca à Albany par un matin d’avril au froid presque hivernal.

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Honesty Dewolf

« Je veux une Amérique libre », dit la planificatrice de mariage à travers un masque orné du Star and Stripes, le drapeau américain d’aujourd’hui. « C’est mon devoir en tant que citoyenne américaine de venir ici et de dire : “Hé, nous voyons ce que vous faites ; nous ne le tolérerons pas. Vous êtes en train de ruiner la vie des gens et il est temps de rouvrir New York.” »

Et le danger que représente la COVID-19 ?

Se tenant aux côtés de sa fille Honesty, Dorsey Kuchler Rohrer, enseignante à la maternelle, répond pour elle : « Je soutiens le droit des gens de rester à la maison. Vous n’avez pas le droit de me forcer à le faire. »

Manifs et sondages

L’opération Gridlock de New York n’a pas attiré autant de personnes qu’une manifestation semblable au Michigan, une semaine plus tôt. Elle n’a pas non plus produit d’images d’opposants armés de fusils d’assaut, la loi new-yorkaise ne permettant pas d’exhiber des armes à feu en public. Mais elle s’est inscrite dans un mouvement de protestation national dont l’importance et la nature font l’objet d’un vif débat aux États-Unis ces jours-ci.

Il s’agit d’un mouvement que les alliés médiatiques et politiques de Donald Trump encouragent, y voyant une façon de mobiliser la base électorale du président et de forcer les gouverneurs à rouvrir l’économie de leurs États respectifs. Mais rien n’indique pour le moment que les manifestations ont un effet sur l’opinion publique.

« Les médias responsables ont souligné à quel point ces manifestations sont non représentatives en mentionnant dans leurs reportages les sondages indiquant la nette impopularité de l’arrêt des mesures de confinement », commente Michael Socolow, professeur de journalisme à l’Université du Maine.

Selon un sondage publié mardi par l’Associated Press, 61 % des Américains appuient les mesures de confinement imposées dans leur région, 26 % disent qu’elles ne vont pas assez loin et 12 % pensent au contraire qu’elles vont trop loin.

Mais les médias commettraient quand même une erreur en minimisant l’importance de ces manifestations, selon Devin Burghart, président de l’Institut pour la recherche et l’éducation sur les droits de la personne, qui s’intéresse aux mouvements populistes et nationalistes. Il estime à au moins 265 le nombre de pages Facebook reliées aux manifestations anti-confinement aux États-Unis et à plus de 1,3 million le nombre de leurs abonnés.

Ce mouvement mobilise déjà plus de gens que le Tea Party à ses débuts. Il se passe véritablement quelque chose. Mais il est trop tôt pour prédire comment tout cela prendra fin.

Devin Burghart, de l’Institut pour la recherche et l’éducation sur les droits de la personne

Derrière les manifestants

En attendant, Devin Burghart divise les manifestants anti-confinement en trois groupes : les partisans de Donald Trump, qui portent la casquette Make America Great Again et agitent des drapeaux sur lesquels s’étale le nom du président ; les anciens militants du Tea Party, dont certains ont ressorti leur Gadsden Flag, ce drapeau jaune qui, avec son serpent enroulé et sa devise « Ne me marche pas dessus », a été le symbole du mouvement populiste sous Barack Obama ; et les membres de milices citoyennes, présents surtout dans l’Ouest.

PHOTO LINDSEY WASSON, REUTERS

Le Gadsden Flag, drapeau du Tea Party, exhibé lors d'une autre manifestation anti-confinement tenue dimanche dernier, à Washington

Derrière ces manifestants se profilent des groupes ou des individus associés notamment à la Maison-Blanche ou à la première mouture du Tea Party. L’un de ces individus, Stephen Moore, commentateur économique bien connu, a été nommé le 14 avril dernier par Donald Trump au sein d’un groupe consultatif pour la réouverture de l’économie américaine. Le même jour, lors d’une interview diffusée sur YouTube, il a comparé les manifestants anti-confinement à une des grandes figures du mouvement des droits civiques.

« C’est un moment idéal, mesdames et messieurs, pour la désobéissance civile. Nous devons être les Rosa Parks du jour et protester contre ces injustices gouvernementales », a-t-il dit.

L’ironie de cette déclaration n’a pas échappé à Christopher Parker, politologue afro-américain de l’Université de Washington et auteur d’un livre sur le Tea Party paru en 2013.

« La quasi-totalité des manifestants anti-confinement sont blancs, dit-il. Ils savent que le virus frappe les Noirs de façon disproportionnée. Ils se disent : ‘‘Hé, cela ne nous affecte pas vraiment, pourquoi devrions-nous souffrir quand nous ne sommes pas ceux qui meurent ?” »

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Thomas Massett

Thomas Massett, monteur d’appareils de chauffage à la retraite, n’est même pas convaincu de la dangerosité de la COVID-19. Comme plusieurs manifestants rencontrés à Albany mercredi, il voit un complot à l’œuvre. Un complot dans lequel le DAnthony Fauci joue un rôle de premier plan.

« Fauci est un partisan d’un gouvernement mondial, comme George Soros et David Rockefeller », dit l’homme de 79 ans en tenant une affiche exhortant Donald Trump à virer le spécialiste des maladies infectieuses. « Je ne comprends pas pourquoi le président lui fait confiance. Je suis très déçu de Trump. Le coronavirus n’est pas plus dangereux que la grippe. »