(Washington) Les habitants handicapés de Virginie-Occidentale et les militaires déployés à l’étranger pourront voter via leur téléphone intelligent à l’élection présidentielle américaine, bien que la méthode suscite de nombreuses inquiétudes en termes de sécurité.

En 2018, des militaires originaires de ce même État avaient déjà voté sur leur téléphone, via l’application Voatz, qui est fondée sur une technologie de blockchain (base de données distribuée et cryptée, réputée pour son inviolabilité).

Cette année, les personnes de Virginie-Occidentale avec un handicap physique pourront aussi s’en servir, et Voatz est testé dans le Colorado, l’Utah, l’Oregon et l’État de Washington.

Pourtant des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont publié jeudi un rapport qui recommande « d’abandonner l’appli pour l’instant ».

Ils expliquent avoir découvert des faiblesses qui pourraient permettre à des pirates informatiques de modifier des votes ou de déterminer quel candidat a été choisi par tel électeur.  

Voatz considère cette étude comme « pleine de défauts », et assure que les scientifiques n’ont pas utilisé la dernière version de l’application, ce qu’ils démentent.

De quoi relancer le débat entre les partisans du vote électronique, qui permet à tout le monde de voter, et ceux qui craignent que de tels systèmes n’ouvrent la porte à des manipulations, qui pourraient endommager la confiance dans la justesse des résultats.

Même si le vote sur l’internet a été mis en place dans certains endroits, en Estonie notamment, la sécurité reste un sujet d’inquiétude, surtout après le fiasco du comptage des votes lors des primaires démocrates dans l’Iowa, à cause d’une application pour téléphone intelligent défaillante et pas suffisamment testée.

« Le vote sur l’internet ne peut être sécurisé par aucune technologie connue », estime Andrew Appel, professeur en Sciences de l’informatique à l’université de Princeton et membre d’un panel de l’Acdémie nationale des Sciences qui a sorti un rapport contre le vote électronique en 2018.  

Un scrutin numérique doit à la fois garantir le secret du vote, tout en vérifiant l’identité de chaque électeur et en protégeant le résultat de toute modification a posteriori.

L’avantage des bulletins en papier « lisibles par des humains », note le rapport de l’Académie, c’est qu’ils peuvent être recomptés et audités ensuite.

PHOTO ROBYN BECK, AFP

Des résidants de Laguna Beach, en Californie, votent à l'aide de machines électroniques lors des élections de mi-mandat, le 6 novembre 2018.

Blockchain

Voatz assure que son système est parfaitement sûr, notamment grâce à la blockchain.  

« Nous utilisons les dernières technologies, reconnaissance faciale et biométrique pour vérifier l’identité des électeurs, la cryptographie pour produire un bulletin […] et la blockchain pour des audits rigoureux après l’élection, afin d’assurer le respect du choix des électeurs sans avoir besoin de révéler leur identité », a déclaré un porte-parole de l’entreprise à l’AFP.

L’appli requiert une numérisation d’un document d’identité officiel, une empreinte digitale relevée sur un appareil distinct et un égoportrait pour authentifier les utilisateurs via un logiciel qui utilise la reconnaissance faciale.

La blockchain consiste en un registre où les informations (des cryptoactifs, à l’origine) ne peuvent pas être modifiées sans que tous les maillons de la chaîne n’en soient informés.

« La blockchain résoud un problème qui n’existe pas, celui de sécuriser des votes déjà effectués », remarque Matt Blaze, un professeur de l’Université de Georgetown, spécialisé dans la cryptographie, qui a étudié les systèmes électoraux.

« Mais elle ne résout pas le problème de comment savoir si ce sont bien ces candidats qui ont été choisis ».

D’après Andrew Appel, si un bulletin numérique était modifié par un pirate avant d’être comptabilisé, « le bulletin hacké entrerait dans la blockchain ».

Participation

Le vote électronique est malgré tout en train d’entrer dans les mœurs, aux États-Unis et ailleurs.

Au moins quatre États américains permettent à certains électeurs de voter sur un portail en ligne, et 19 autorisent les fax ou courriels, d’après la National Conference of State Legislatures.

L’ONG Verified Voting Foundation (VVF) se méfie des sociétés qui vendent des technologies en promettant d’augmenter la participation.

« C’est un mythe. Il n’y a quasiment aucune preuve montrant que le vote en ligne améliore la participation électorale », a insisté Barbara Simons, présidente de cette ONG, lors d’une conférence à l’Université de Georgetown.

Selon VVF, une douzaine de pays ont expérimenté une forme ou une autre de vote électronique. Le système mis en place par l’Estonie depuis 2005 est vu par certains comme le modèle à suivre.

Mais la France a abandonné l’idée en 2017 pour les électeurs résidant à l’étranger à cause d’inquiétudes pour la sécurité du scrutin.