Pour la porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Huckabee Sanders, c'est la preuve que les démocrates sont « mauvais perdants ». Selon son patron, Donald Trump, ce n'est pas seulement une « honte », mais également une « perte de temps ».

De quoi parlent-ils ? De la publication du rapport du procureur spécial Robert Mueller sur l'enquête russe, qui est réclamée par les démocrates du Congrès et, selon tous les sondages, une forte majorité des Américains.

À première vue, la chose ne devrait pas poser problème au président et à ses alliés. Après tout, ceux-ci ont crié victoire, le 24 mars dernier, après la publication d'une lettre de quatre pages rédigée par le procureur général des États-Unis, William Barr, et résumant les principales conclusions du rapport d'enquête de Robert Mueller.

Mais ils ont abandonné leur ton triomphaliste depuis que William Barr a promis de fournir au Congrès, d'ici la mi-avril, une version expurgée du document confidentiel comptant près de 400 pages. Interviewé sur Fox News mercredi soir, Devin Nunes, un des défenseurs du président à la Chambre des représentants, a ainsi mis en cause la crédibilité du rapport en affirmant qu'il avait « été écrit par des partisans ».

Cette volte-face n'est pas la seule réaction qui retient l'attention deux semaines après la remise du rapport de Robert Mueller. Pour la première fois, hier et avant-hier, des médias ont évoqué les frustrations ressenties par des membres de l'équipe du procureur spécial à l'égard de la lettre de William Barr résumant les conclusions de leur enquête.

Dans cette lettre, le procureur général a écrit que Robert Mueller n'avait pas prouvé que l'équipe de campagne de Donald Trump avait conspiré avec la Russie pour influencer l'élection présidentielle de 2016. Il a également indiqué que le procureur spécial n'avait pas déterminé « d'une façon ou d'une autre » si le président avait fait entrave à la justice. En l'absence de conclusion sur ce sujet, il a lui-même décrété que les preuves d'un tel crime étaient insuffisantes.

Or, selon un article publié hier matin sur le site du Washington Post, des membres de l'équipe de Robert Mueller ont fait savoir à des proches que les preuves d'une entrave à la justice étaient « importantes et alarmantes ». « C'était beaucoup plus grave que ce que Barr a suggéré », a déclaré une source anonyme au Post.

Le New York Times a publié mercredi soir un article du même genre. Le quotidien a notamment fait état de la déception de certains enquêteurs à la suite de la décision de William Barr de ne pas rendre publics les sommaires qu'ils avaient préparés pour chacune des sections du rapport.

Selon le New York Times, ces enquêteurs estiment que la lettre du procureur général « ne décrit pas adéquatement les conclusions de leur enquête et que celles-ci sont plus troublantes pour le président Trump que M. Barr ne l'a indiqué ».

Ces fuites médiatiques sont en soi remarquables. Pendant les 22 mois de l'enquête russe, Robert Mueller et les membres de son équipe ont été d'une discrétion absolue, ou presque. Mais la lettre de William Barr a vraiment changé la donne, selon Jens David Ohlin, professeur de droit à l'Université Cornell, dans l'État de New York.

« Durant la période entre la publication de cette lettre et la sortie éventuelle du rapport de Mueller, le résumé de Barr aura dominé le débat public et laissé peut-être les Américains avec une interprétation erronée », a-t-il déclaré à La Presse lors d'un entretien téléphonique. « Je pense que la frustration des enquêteurs de Mueller est compréhensible, et ce, même si la lettre de Barr est exacte. Car, en omettant beaucoup d'informations, il a peut-être brossé un portrait de la situation qui s'est avéré beaucoup plus favorable à Trump. »

Le département de la Justice réplique

Chose certaine, le département de la Justice des États-Unis, dont William Barr est le chef, a senti le besoin hier de répliquer aux fuites médiatiques. Sa porte-parole, Kerri Kulpec, a notamment affirmé que les sommaires du rapport de Robert Mueller, tout comme le reste du document, contenaient des renseignements délicats qui devaient être expurgés.

« Le département continue à travailler avec le procureur spécial pour procéder à l'expurgation du rapport afin qu'il puisse être rendu public au Congrès et au public », a-t-elle dit.

Mais les démocrates ne font pas confiance à William Barr, qui a été nommé par Donald Trump à son poste en décembre dernier, moins de six mois après avoir transmis à la Maison-Blanche et au département de la Justice une note de 23 pages critiquant l'enquête de Robert Mueller.

Aussi le président de la commission judiciaire de la Chambre, Jerrold Nadler, a-t-il réclamé hier la publication immédiate des sommaires préparés par l'équipe de Robert Mueller. La veille, sa commission avait déjà approuvé des mandats pour obtenir le rapport complet de Robert Mueller.

En attendant, les fuites se poursuivent. Selon un reportage de NBC News diffusé hier, le rapport de Robert Mueller dessine un portrait d'une équipe de campagne, celle de Donald Trump, dont les membres sont manipulés par une opération de renseignement russe sophistiquée.

Reste à voir si ces informations survivront à la censure de William Barr.

PHOTO SARAH SILBIGER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

William Barr, procureur général des États-Unis, a publié le 24 mars dernier une lettre résumant les principales conclusions du rapport d'enquête de Robert Mueller.