Mardi, Donald Trump profitera d’un discours à Orlando, en Floride, pour lancer sa campagne en vue de l’élection présidentielle de 2020. Trump, l’un des présidents les plus impopulaires de l’ère moderne, a-t-il des chances de remporter un second mandat ? Les avis sont partagés.

« Je croyais avoir tout vu avec Nixon, mais Nixon était Cendrillon comparativement à Trump. »

En plus de 40 ans de carrière, Jaime A. Regalado, analyste politique et professeur émérite de sciences politiques à la California State University, n’a rien vu qui puisse se rapprocher du phénomène Donald Trump, un président accusé de ne pas dire la vérité, dont des proches collaborateurs ont reconnu avoir menti au FBI et sont aujourd’hui en prison, mais qui demeure populaire auprès de son parti.

Le 18 juin, Donald Trump annoncera à 20 000 partisans réunis à Orlando qu’il briguera un deuxième mandat en 2020. Contrairement à la situation il y a quatre ans, où la candidature du magnat de l’immobilier était vue comme une caricature, Trump règne aujourd’hui seul au sommet d’un Parti républicain qui s’est rallié à lui, malgré les scandales à répétition et les risques de destitution.

« Ce qu’on a appris ces dernières années, c’est que les électeurs et les élus républicains sont prêts à laisser passer bien des choses pourvu que le président défende leurs idées », analyse M. Regalado. 

Peu importe qu’il soit grossier, insensible, et parfois apparemment stupide, raciste et misogyne… Ceux qui disaient “jamais Trump” sont revenus vers Trump. Ça a surpris bien des gens, moi y compris.

Jaime A. Regalado, analyste politique et professeur émérite de sciences politiques à la California State University

Historiquement à risque

Ce qui est unique avec la campagne électorale qui s’amorce, c’est à quel point elle commence tôt, explique Rafael Jacob, chercheur associé à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Nous ne sommes même pas rendus à l’été et Trump lance sa campagne. Du côté des démocrates, Elizabeth Warren a même lancé sa campagne à la fin de l’année 2018 ! Nous aurons une campagne extrêmement longue. »

Historiquement, le meilleur indicateur des chances de réélection d’un président est son taux d’approbation, dit-il. « Une campagne de réélection est un référendum sur le travail du président, et Donald Trump est dans une position qui est à risque. Son taux d’approbation est sous la barre des 50 % depuis le tout début de sa présidence – en fait, il n’a jamais été au-delà de 50 %. »

Au moment d’écrire ces lignes, le président Trump jouit de l’appui de 41,8 % des Américains. Un taux qui n’est pas excellent, mais qui pourrait être pire, dit M. Jacob.

Trump n’est pas à 25 % ou 30 %. Si l’élection avait lieu aujourd’hui, il serait quand même dans la course. S’il gagne, il va gagner à l’arraché.

Rafael Jacob, chercheur associé à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM

Donald Trump a choisi de tenir son rassemblement pour annoncer sa réélection en Floride, un État qui l’avait soutenu en 2016 et qui l’avait propulsé à la présidence en dépit du fait qu’il avait perdu le vote populaire aux mains d’Hillary Clinton. Or, Trump est aujourd’hui loin de briller dans d’autres États qu’il avait remportés il y a trois ans.

« Trump est en très sérieuses difficultés au Michigan et en Pennsylvanie, si bien que sa campagne a dit qu’elle allait se concentrer dans des États que Trump n’avait pas remportés en 2016, et qui ont des chances de voter pour lui en 2020, comme au Nevada ou encore au New Hampshire. »

70 % des présidents non réélus

On croit souvent que les présidents américains sont généralement réélus pour un second mandat, mais ce n’est pas le cas, a analysé dans un article pour The Daily Beast l’auteur et commentateur politique Michael Medved.

« Depuis 1825, 70 % des présidents américains n’ont pas été réélus pour un deuxième mandat », écrit-il.

On entend souvent dire que c’est l’état de l’économie qui détermine si un président est réélu ou non. Une étude réalisée en 2012 à l’Université Brigham Young, en Utah, a analysé les élections présidentielles entre 1932 et 2008. Résultat : la croissance de l’économie durant le mandat d’un président est liée à une plus grande part du vote lors de sa réélection. Mais – et on l’a vu en 2016 – remporter le vote populaire ne garantit pas un accès automatique à la Maison-Blanche. 

« Les indicateurs économiques semblent avoir un impact sur le pourcentage du vote populaire obtenu par le président, mais nous avons déterminé que leurs effets sont moins significatifs pour déterminer le gagnant d’une élection », écrivent les chercheurs. 

Malgré son impopularité sur le plan national, Donald Trump possède des atouts non négligeables, note Jaime Regalado.

PHOTO EVAN VUCCI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Donald Trump peut compter sur une base partisane importante et loyale.

« Sa base partisane constitue son plus grand atout. Ses partisans sont derrière lui. Ils vont le suivre jusqu’au bout du monde. Quiconque veut être élu ou réélu comme président a besoin d’une base partisane forte. Je ne dis pas que Trump va gagner en 2020, mais je crois qu’il va être compétitif. »

Michael LaBossiere, auteur, professeur de philosophie à l’Université A&M en Floride et spécialiste des théories du savoir, croit quant à lui que Trump a « d’excellentes » chances d’être réélu.

« Les démocrates sont… des démocrates, dit-il en entrevue. Obama était une figure très charismatique, mais je ne vois pas une personne comme lui parmi les candidats actuels et ils ne sont pas aussi radicalement stratégiques que les républicains – par exemple sur le plan des efforts de suppression du vote. »

M. LaBossiere remarque que Trump semble être immunisé contre les scandales qui couleraient pratiquement n’importe qui. « C’est très étrange. Si vous embauchiez un plombier et qu’il tenait des propos pratiquement incohérents et ne démontrait aucune aptitude ou aucun intérêt à être plombier, est-ce que vous l’embaucheriez à nouveau ? Certainement pas, mais avec Trump, ça semble être différent. »

La question est de savoir si les indépendants vont se rallier à Trump lors de l’élection de 2020, note Jaime Regalado. « Les indépendants ont tendance à être centristes ou modérément conservateurs. Ils ont déjà voté pour Obama et, en 2016, ils ont voté pour Trump. Qu’est-ce qu’ils vont faire cette fois-ci ? C’est ce qu’il faudra suivre. »

Les projecteurs sont sur Trump, mais les résultats de 2020 ne dépendront pas seulement de lui, ajoute-t-il.

« On va voir si les démocrates iront voter, si les milléniaux iront voter, si les Latinos et la communauté asiatique iront voter. Ces gens n’aiment pas Trump, on le sait, mais iront-ils voter ? Ils ont été nombreux à voter contre Trump aux élections de mi-mandat de 2018, mais ils devront être plus nombreux encore en 2020 si les démocrates veulent défaire le président. »

Les promesses de Trump

PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Si le 45président des États-Unis a fait adopter 132 lois importantes durant les 500 premiers jours de son mandat, il est loin d’être parvenu à tenir toutes les grandes promesses qu’il a faites à ses partisans.

Donald Trump aime répéter qu’aucun président n’a accompli autant que lui en si peu de temps. Selon NBC News, Trump a fait adopter 132 lois importantes lors des 500 premiers jours de sa présidence, contre 118 pour Barack Obama, 133 pour George W. Bush et 177 pour Bill Clinton. Voici un survol des grands engagements de Trump.

Un mur payé par le Mexique

Construire un mur à la frontière et faire payer le Mexique. La promesse la plus visible et la plus souvent répétée de Donald Trump n’a pas été réalisée : Trump a décidé d’aller chercher 8,1 milliards de dollars dans différents budgets du gouvernement fédéral afin de financer son mur. La première tranche de ce financement, soit 1 milliard, fait l’objet d’une injonction, un juge fédéral n’ayant pas été convaincu de la légalité de puiser ces fonds à même le budget de lutte contre le trafic de drogue. Quant à la question de faire payer le mur au Mexique… Le pays situé au sud des États-Unis a toujours dit – et continue de dire – qu’il n’en paierait pas un sou.

Mettre fin à l’Obamacare

La réforme de l’assurance maladie adoptée par Barack Obama a toujours été une épine au pied des républicains, et Donald Trump a promis d’y mettre fin dès les premiers jours de sa présidence. Aujourd’hui, l’Obamacare est toujours en vigueur malgré des recours devant les tribunaux qui assurent un avenir incertain à la loi. La démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, a promis de travailler à « prévenir les efforts des républicains pour abroger la loi Obamacare ».

Diminuer l’impôt sur les sociétés

Durant sa campagne, Donald Trump a promis de faire passer l’impôt sur les sociétés de 35 % à 15 %. Il a réussi à abaisser cet impôt à 21 %, soit près des deux tiers de la diminution promise. Cette diminution a provoqué une explosion du déficit, mais Trump a promis que cela serait compensé dans les années à venir par une plus grande croissance économique.

Vider le marais (Drain the swamp)

À voir la vitesse à laquelle l’entourage de Trump a été accusé, reconnu coupable ou envoyé en prison, difficile de conclure que Donald Trump a pu faire le ménage à Washington. En fait, ce sont plutôt les tribunaux qui font le ménage au sein du clan Trump : Michael Flynn, ex-conseiller à la sécurité nationale, et Rick Gates, ex-directeur de campagne adjoint, ont reconnu avoir menti au FBI ; Michael Cohen, ex-avocat personnel de Trump, et Paul Manafort, ancien président de la campagne de Trump, purgent actuellement des peines de prison pour avoir menti au Congrès et conspiré contre les États-Unis, respectivement.

Décret « anti-musulmans »

En janvier 2017, Donald Trump a signé le décret présidentiel interdisant l’arrivée de ressortissants de pays à majorité musulmane, souvent appelé « Muslim Ban » aux États-Unis. Le décret a été invalidé à deux reprises par les tribunaux, mais une troisième version a été autorisée par la Cour suprême. En 2018, le décret a entraîné le rejet de plus de 37 000 demandes de visa venant de citoyens du Tchad, de l’Iran, de la Libye, de la Corée du Nord, de la Syrie, du Venezuela, de la Somalie et du Yémen. Les démocrates ont lancé un projet de loi pour mettre fin au décret, mais aucun républicain de la Chambre des représentants ou du Sénat ne l’appuie.

La réplique démocrate

Ça se bouscule pour évincer Trump chez les démocrates : au moment d’écrire ces lignes, 24 candidats à l’investiture sont en compétition. La course n’en est encore qu’à ses débuts : les premiers débats auront lieu les 26 et 27 juin, et le candidat sera choisi lors de la convention démocrate, qui se tiendra dans plus d’un an, en juillet 2020, à Milwaukee, au Wisconsin. Voici quatre candidats qui se démarquent jusqu’ici.

Joe Biden

PHOTO SAUL LOEB, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Joe Biden espère bien que sa troisième tentative de décrocher l’investiture démocrate sera la bonne.

Tentant pour la troisième fois sa chance à l’investiture démocrate, l’ex-vice-président de Barack Obama est jusqu’ici le meneur de la course. Cela s’explique notamment par le fait que les gens le connaissent, note Rafael Jacob, chercheur associé à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. « Il a la stature d’un vice-président, ce qui n’est pas rien. Aussi, la stratégie de Biden est de parler aux démocrates cols bleus, aux gens plus modérés et aux personnes âgées. Contrairement à bien d’autres candidats, il ne se rue pas à gauche, il ne joue pas ce jeu. »

Bernie Sanders

PHOTO BRIAN C. FRANK, ARCHIVES REUTERS

Le « socialiste » Bernie Sanders se démarque par ses propositions progressistes, comme les soins de santé et l’université gratuits.

Tout comme en 2016, Bernie Sanders est dans la course cette année, et sa campagne se porte bien : il a récolté 18 millions de dollars de la part de plus de 500 000 donateurs ces derniers mois. Se qualifiant lui-même de « socialiste », Sanders se démarque par ses propositions progressistes, comme les soins de santé et l’université gratuits. Contrairement à ce qu’on a pu voir lors de la dernière investiture démocrate, Bernie Sanders n’est pas seul à gauche, dit Rafael Jacob. « Il va y avoir une division du vote progressiste. »

Elizabeth Warren

PHOTO MANDEL NGAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren courtise la fraction modérée de la gauche américaine. Elle est un peu la version capitaliste de Bernie Sanders.

Sénatrice du Massachusetts, Elizabeth Warren est un peu la version capitaliste de Bernie Sanders : elle veut réformer les excès du système, sans pour autant le mettre à terre pour repartir à zéro. Mme Warren propose d’effacer les dettes d’études de millions d’Américains et promet de taxer annuellement les fortunes de 50 millions ou plus, ce qui permettrait au gouvernement fédéral de récolter 2,75 billions sur 10 ans.

Peter Buttigieg

PHOTO BRIAN C. FRANK, ARCHIVES REUTERS

À 37 ans, Peter Buttigieg est le plus jeune candidat à l’investiture démocrate et le premier ouvertement homosexuel.

À 37 ans, le maire de South Bend, en Indiana, est le plus jeune candidat à l’investiture démocrate et le premier ouvertement homosexuel. Son profil d’ex-militaire envoyé en Afghanistan et de maire populaire d’une ville de la « Rust Belt » retient l’attention, de sorte qu’il est un peu la « saveur du mois », estime Rafael Jacob. « Buttigieg fait un tabac, mais on parle ici d’un homme qui est maire d’une ville de 100 000 personnes… Tout le monde dit qu’il est éloquent, mais à ce compte-là, il y a des millions d’Américains qui sont éloquents… »