Si le pouvoir d'un président des États-Unis de se retirer d'un traité international comme l'ALENA ou l'Accord de Paris sur le climat a peu de limites, la volonté affichée du président Donald Trump de remettre en cause tous les traités est sans précédent. Cette conjoncture -et les premiers pas chaotiques de l'administration Trump sur la scène mondiale- inquiète deux ex-conseillers en droit international du gouvernement américain.

John Bellinger a travaillé dans l'administration Bush de 2001 à 2009, en tant que conseiller juridique principal de Condoleeza Rice, qui a d'abord été conseillère à la sécurité nationale puis secrétaire d'État sous George W. Bush. Catherine Amirfar, elle, a été conseillère juridique au département d'État de 2014 à 2016, sous John Kerry.

Les deux étaient réunis le temps d'un séminaire de l'Association américaine de droit international, diffusé hier sur le web.

«Est-ce que l'administration Trump sera un agent du chaos pendant quatre ans? Ou va-t-elle commencer à suivre les conseils de ses services?», s'est demandé Mme Amirfar.

De son côté, M. Bellinger a souligné qu'il était «normal» pour une nouvelle administration de faire l'inventaire de tous les traités qui attendent l'approbation du Sénat. Actuellement, il y en a 44, dont la plupart ne devraient pas soulever la controverse, estime-t-il.

«Ce qui est plus inquiétant, c'est leur intention d'examiner tous les traités multilatéraux existants. Il y en a des centaines, et ils profitent chaque jour aux Américains», laisse-t-il entendre.

Les deux experts citent à titre d'exemples les traités sur les satellites de télécommunications, sur les enlèvements d'enfants ou sur l'harmonisation fiscale. Ils s'entendent pour dire que le président des États-Unis a un pouvoir étendu pour retirer son pays de traités qui ont pourtant été ratifiés par le Sénat.

Ce pouvoir a été contesté deux fois, sans succès, devant les tribunaux. Il faudrait, selon M. Bellinger, que le Congrès s'y oppose formellement par une loi.

PHOTO Pablo Martinez Monsivais, archives Associated Press

Le président Donald Trump a promis d'«annuler» l'Accord de Paris sur le climat.

Libre-échange et climat

Pour ce qui est de l'ALENA, l'accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique, Mme Amirfar souligne que le président américain a le pouvoir d'invoquer la clause de retrait qui prévoit un délai de six mois. Cependant, certaines dispositions de la loi américaine d'application de l'ALENA continueraient d'être en vigueur.

Dans le cas de l'Accord de Paris sur le climat, le président Trump a promis de l'«annuler», mais il n'en a évidemment pas le pouvoir, étant donné qu'il est entré en vigueur avec l'appui de 195 pays.

Le président Trump pourrait cependant invoquer la clause de retrait de l'Accord de Paris, qui prévoit un délai de quatre ans. Il pourrait aussi prendre un raccourci et invoquer le retrait de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), adoptée au Sommet de la Terre à Rio, en 1992, qui comporte un délai d'un an.

Mais M. Bellinger ne croit pas que cela va se produire. «Ce serait l'option nucléaire», dit-il. D'ailleurs, Rex Tillerson, dont la nomination comme secrétaire d'État a été confirmée hier, a déclaré le mois dernier devant le Sénat qu'il trouvait «important que les États-Unis gardent une place à la table dans la conversation sur les façons de répondre aux menaces des changements climatiques».

En outre, l'Accord de Paris ne comporte qu'une seule obligation : celle de publier une cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), ce qu'a fait l'administration Obama. « Il n'y a aucune obligation d'atteindre cette cible », précise M. Bellinger.

Un effort d' «éducation»

Plus largement, les deux experts s'inquiètent pour l'avenir du droit international aux États-Unis, qui se retrouve souvent l'otage d'enjeux de politique interne.

Mme Amirfar souligne par exemple qu'avec la ratification récente par la Somalie, les États-Unis sont le seul pays au monde à n'avoir pas ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant. 

«Il faut beaucoup d'efforts pour faire adopter les traités au Sénat, il faut travailler individuellement avec les sénateurs qui ont des réticences», souligne Mme Amirfar.

M.Bellinger souligne qu'un effort d'«éducation» est nécessaire, et que cela a porté ses fruits dans le deuxième mandat de George W. Bush, qui a vu la ratification de 163 traités, dont une trentaine d'ententes multilatérales.

«J'espère qu'on ne verra pas la fin des traités internationaux pendant l'administration Trump, dit-il. Il faut espérer que les signaux d'alarme que nous voyons actuellement vont disparaître.»