Après de multiples appels aux États-Unis pour que le président désigné Donald Trump dénonce un groupuscule d'extrême droite disant sentir « une profonde connexion » avec lui et qui a fêté sa victoire lors d'une conférence marquée par des saluts nazis, le milliardaire a finalement désavoué mardi le groupe appelé « alt-right », lors d'un entretien au New York Times.

Donald Trump a défendu mardi son proche conseiller Steve Bannon, assurant en entrevue au New York Times que s'il estimait « qu'il était raciste » ou d'extrême droite, « je ne penserais même pas à l'embaucher ».

Le milliardaire s'est également démarqué du groupe d'extrême droite alt-right. « Je les désavoue et je les condamne », a-t-il dit au New York Times, selon la correspondante du journal à la Maison-Blanche, Julie Davis.

« Je ne veux pas galvaniser ce groupe, et je désavoue ce groupe », a-t-il également dit lors de la rencontre avec le New York Times, selon un autre de ses journalistes, Mike Grynbaum. « Ce n'est pas un groupe que je veux galvaniser, et s'ils sont galvanisés, je veux analyser ça et comprendre pourquoi », a dit M. Trump, toujours selon M. Grynbaum.

L'homme d'affaires rencontrait à New York des journalistes, éditorialistes et des responsables de ce quotidien de référence, certains rapportant en direct ses propos sur Twitter.

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Il a été interrogé à propos de Steve Bannon, figure controversée pour ses liens avec l'extrême droite, qui a mené la fin de sa campagne et l'accompagnera comme haut conseiller à son arrivée à la Maison-Blanche le 20 janvier.

Âgé de 62 ans, il était jusqu'à récemment encore le patron de Breitbart, un site d'information servant de caisse de résonance à une nébuleuse d'extrême droite apparue récemment aux États-Unis et baptisée « alt-right ». Il avait lui-même défini le site comme « une plateforme pour l'«alt-right» », dans un entretien au site Mother Jones.

« Si je pensais qu'il était raciste, ou de «l'alt-right» (...), je ne penserais même pas à l'embaucher », a-t-il dit, selon une journaliste politique du New York Times, Maggie Haberman.

« M. Trump qui a pourtant le tweet facile, est resté silencieux lorsque quelque 200 nationalistes blancs » d'extrême droite se sont réunis samedi à Washington « pour célébrer son élection très ouvertement avec une fête publique emplie de propos orduriers racistes et antisémites », écrit le New York Times dans son éditorial de mardi.

« M. Trump, qui a sorti ce groupe de l'ombre pendant la campagne, a le devoir de dénoncer sans équivoque sa propagande toxique », poursuit l'influent quotidien.

« Le président désigné Trump a continué de dénoncer toute forme de racisme et a été élu pour être le leader de chaque américain. Affirmer le contraire est une interprétation erronée du mouvement qui a réuni des Américains de tous horizons », avait indiqué plus tôt l'équipe de Trump dans un communiqué.

La conférence tenue samedi dans la capitale américaine, prévue avant de connaître les résultats de la présidentielle du 8 novembre, était organisée dans un centre de congrès à deux pas de la Maison-Blanche par le « National Policy Institute » (NPI), un groupe d'extrême droite.

L'un des organisateurs, Richard Spencer, a fini son discours par les cris « Hail au peuple ! Hail notre victoire ! », employant le mot anglais équivalent du « Heil » allemand, repris en coeur par l'assemblée et accueilli par des saluts nazis, selon une vidéo mise en ligne par le site The Atlantic.

«À l'avenir, l'alt-right peut, en tant qu'avant-garde intellectuelle, compléter le travail de Trump», dit à la tribune ce trentenaire cintré dans un élégant costume et coiffé, comme beaucoup de ses compagnons de route, à la «fascia»: ras sur les côtés, les cheveux soigneusement peignés sur le haut du crâne.

L'alt-right était une « tête sans corps » et M. Trump « une sorte de corps sans tête » au début de sa campagne, a-t-il résumé.

Certains auraient aussi crié « Hail Trump », selon des journalistes présents.

Le NPI expliquait sur son invitation en ligne à la conférence : « On se souviendra peut-être des 12 derniers mois comme de l'année de Donald Trump (...) et l'année de la droite alternative », l'« alt-right », une mouvance d'extrême droite qui a émergé récemment aux États-Unis.

Une année où « plus de gens ont rejoint notre mouvement que jamais auparavant et où nos idées ont commencé à envahir le grand public », poursuivait le texte.

Richard Spencer a dit au New York Times qu'il n'estimait pas que le président désigné appartient à cette mouvance. « Mais je pense qu'il y a une connexion psychique, ou plus profonde, pourrait-on dire, avec Donald Trump, d'une manière que nous n'avons tout simplement pas avec la plupart des républicains ».

Donald Trump a choisi Steve Bannon, ex-patron du site d'extrême droite Breitbart et caisse de résonance de l'alt-right, pour mener sa fin de campagne puis l'accompagner comme haut conseiller lorsqu'il entrera à la Maison-Blanche le 20 janvier.

« Si Trump ne fait pas quelque chose de plus fort pour désavouer ses partisans néonazis, ils continueront leur marche insolente vers le grand public », écrivait mardi un célèbre éditorialiste du Washington Post, Dana Milbank, avant d'appeler lui aussi Donald Trump à prendre une position ferme.

Mais son ancien rival aux primaires républicaines et désormais soutien, l'ancien neurochirurgien afro-américain Ben Carson, a estimé mardi que Donald Trump « ne peut pas être tenu pour responsable de ceux qui le soutiennent ». « Je n'ai vu personne accuser le président Barack Obama quand les Black Panthers faisaient des choses », a-t-il ajouté dans un entretien au Daily Beast.

Qu'est-ce que l'alt-right ?

À la tête d'un obscur groupe de réflexion, le National Policy Institute, Richard Spencer, diplômé d'études supérieures, est l'un des visages de l'alt-right, cette nébuleuse qui est née et prospère sur l'internet, rallie des jeunes plutôt éduqués et compte parmi ses alliés le nouveau conseiller spécial du président désigné Trump, Steve Bannon.

La mouvance, qui a récemment fait irruption sur la scène publique, n'a pas de structure formelle et son idéologie puise dans l'extrême droite traditionnelle et la théorie de la suprématie blanche autant que dans une dénonciation du libre-échange économique.

« L'alt-right pense qu'un certain degré de séparation entre les peuples est nécessaire pour que la culture soit préservée », écrivaient deux figures liées à ce mouvement dans un manifeste publié en mars sur le site Breitbart News, alors dirigé par M. Bannon.

Théoriciens

Cette séparation doit, sans surprise, être raciale et religieuse : le mouvement, qui revendique une filiation avec l'extrême droite française et notamment la Nouvelle Droite, fourmille de théories pseudo-scientifiques sur la hiérarchie supposée entre les races et voue une haine tenace aux Juifs et aux musulmans.

« La chose honteuse chez la gauche est qu'ils veulent plus d'immigration musulmane (...) Les gauchistes veulent que cette maladie vienne dans notre société plus qu'ils ne veulent se protéger eux-mêmes », déclarait ainsi Kevin MacDonald, un professeur de psychologie à la retraite, samedi lors de la réunion de Washington.

Selon le Southern Poverty Law Center, spécialisé sur les mouvements extrémistes, l'Alternative Right, ou alt-right, s'est ainsi bâtie sur l'idée que « l'identité blanche » serait menacée par le multiculturalisme, le « politiquement correct » et la justice sociale.

Ce culte de l'homogénéité identitaire les a également conduits à rejeter l'économie de marché défendue traditionnellement par le Parti républicain.

« L'establishment républicain, avec leur croyance inoxydable dans le marché libre, pourrait être tenté de détruire une cathédrale pour la remplacer avec un centre commercial, si ça faisait sens économiquement parlant », assure le « manifeste » publié par Breitbart, assurant qu'une telle décision serait une « horreur » pour l'alt-right.

Trump et l'alt-right

Nul doute que certains arguments de campagne de Donald Trump ait trouvé grâce aux yeux du mouvement : le candidat républicain a férocement combattu le libre-échange, promis d'ériger un mur à la frontière américano-mexicaine et appelé à interdire les musulmans d'entrée aux États-Unis.

Le milliardaire a également pris en grippe la presse traditionnelle, honnie par l'alt-right, et fait preuve d'un machisme outrancier cultivé par cette mouvance qui a le féminisme en horreur.

La popularité croissante du mouvement a également attiré l'attention de Twitter qui a fermé plusieurs comptes liés à l'alt-right, dont celui de M. Spencer, qui a par ailleurs été interdit d'entrée dans l'espace Schengen en 2014.

« Il y a une grande purge en cours et ils purgent les gens sur la base de leurs opinions », a-t-il commenté.

- Avec Jeremy TORDJMAN