Les médias américains ont diffusé vendredi une vidéo dramatique qui montre de façon imparfaite le moment de l'homicide d'un Afro-Américain par la police, un acte qui a déclenché trois nuits de manifestations tendues dans la ville de Charlotte.

La publication de ce document intervient alors que la police de Charlotte se refuse de son côté à rendre publique une autre vidéo montrant l'intervention de ses agents face à la victime, Keith Lamont Scott.

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D'après la police, M. Scott a été mortellement blessé par balle alors qu'il refusait de lâcher son arme de poing. Ses proches affirment au contraire qu'il n'avait qu'un livre en main et qu'il attendait pacifiquement son fils à un arrêt d'autobus.

La vidéo, remise notamment au New York Times par les avocats de la famille de la victime, a été tournée par la femme de l'homme tué, Rakeyia Scott. Tournant ces images avec son téléphone intelligent, elle approche de la zone où son mari est tenu en joue par plusieurs policiers portant un gilet pare-balles.

« Ne tirez pas ! Ne tirez pas ! Il n'est pas armé ! Il n'a rien fait ! », implore l'épouse, qui se trouve à une dizaine de mètres de la scène.

« Lâche ton arme ! Lâche ton arme ! », ordonne la voix d'un policier, sans que l'on puisse voir où Keith Lamont Scott se trouve exactement.

« Il n'a pas d'arme ! Il a un problème cérébral. Il ne va rien vous faire, il vient de prendre ses médicaments ! », prévient Rakeyia Scott.

La femme crie ensuite à son mari la chose suivante : « Keith, ne les laisse pas casser la vitre, sors de la voiture ! Keith, ne fais pas ça ! Keith ! Sors de la voiture ! Ne fais pas ça ! Keith ! »

Plusieurs détonations retentissent alors et l'épouse se met à pousser des cris alarmés : « Vous lui avez tiré dessus ? Vous lui avez tiré dessus ? Vaudrait mieux pour vous qu'il ne soit pas mort ! »

Rakeyia Scott continue à filmer, son mari étant étendu à plat ventre sur la chaussée, entouré par quatre policiers.

« Voici les policiers qui ont tiré sur mon mari et il y a intérêt à ce qu'il vive, car il ne leur avait rien fait », dit-elle enfin.

La vidéo ne montre aucune arme visible près du corps de Keith Lamont Scott. NBC a toutefois indiqué avoir reçu une photo d'un témoin semblant montrer une arme près des pieds de la victime.

La police pressée de dévoiler les vidéos

Par ailleurs, le chef de la police de Charlotte, Kerr Putney, a indiqué vendredi qu'une caméra corporelle et une caméra installée sur le tableau de bord d'une voiture de police ont filmé la scène.

Il a toutefois refusé de les diffuser pour l'instant, bien que cela pourrait être des plus instructifs.

La police maintient que Keith Lamont Scott brandissait une arme, alors que des témoins affirment qu'il n'en est rien.

Un avocat de la famille, qui a visionné une vidéo jeudi, a affirmé qu'on ne peut voir clairement sur la captation si M. Scott tient quoi que ce soit dans ses mains.

La police de Charlotte, en Caroline du Nord, se trouvait sous une intense pression vendredi pour rendre publiques les vidéos montrant l'homicide d'un Afro-Américain abattu par un policier, ce qu'elle refusait toujours de faire malgré une troisième nuit de manifestations.

Le refus par la police locale de publier ces vidéos contraste avec l'attitude des autorités de l'Oklahoma, où une affaire similaire est survenue vendredi dernier à Tulsa. La diffusion de vidéos avait alors permis une avancée rapide de l'enquête et l'inculpation quelques jours plus tard de la policière incriminée.

Les demandes pressantes des manifestants concernant les vidéos à Charlotte, en Caroline du Nord, où la nuit de jeudi à vendredi a été émaillée de violences sporadiques, mais a été calme comparée aux deux précédentes, ont toutefois été entendues à moitié.

La police a accepté de montrer jeudi aux proches de Keith Lamont Scott, l'homme de 43 ans tué mardi, les images du drame.

Mais celles-ci ne permettent pas d'éclaircir le point de discorde principal entre la police, qui affirme que Keith Scott tenait une arme à la main, et ses proches, qui affirment qu'il s'agissait d'un livre, selon l'un des avocats de la famille.

« Les vidéos devrait être rendue publique », a concédé vendredi lors d'une conférence de presse la mairesse de Charlotte, Jennifer Roberts, assurant qu'il s'agit d'une « question de timing ».

L'enquête n'étant pas terminée, assure-t-elle, « si une pièce (du dossier) est rendue publique plus tôt, cela peut mettre en péril l'investigation dans son ensemble ».

De son côté, le chef de la police locale, Kerr Putney, a affirmé prendre la mesure de « l'attente » suscitée par les vidéos, considérées « comme la panacée ». « Mais je peux vous dire que ce n'est pas le cas », a-t-il dit, suggérant que les images ne permettraient pas de déterminer d'éventuelles responsabilités.

« Si je la publiais comme cela et sans que cela ne vous place dans le bon contexte, elle peut mettre de l'huile sur le feu et envenimer la situation. Cela décuplerait la méfiance », entre manifestants et autorités, a-t-il ajouté.

photo Mike Blake, REUTERS

La mairesse de Charlotte Jennifer Roberts regarde le chef de la police Kerr Putney répondre aux questions des journalistes, lors d'une conférence de presse, le 23 septembre.

Transparence

Cette dernière assertion de Kerr Putney sonne comme une réponse à la pluie de critiques dont la police est la cible.

Le ministre de la Justice de la Caroline du Nord, Roy Cooper, a lui aussi estimé vendredi que le meilleur moyen de « chercher la vérité » et de « rassembler » était de « rendre publique les vidéos ».

La veille, la ministre fédérale de la Justice, Loretta Lynch, s'est également prononcée à demi-mot en faveur d'une publication des images.

« Dans des situations où l'information est rendue publique, même quand cette information est difficile à regarder (...) le fait d'offrir une plus grande transparence est plus utile que l'inverse », a-t-elle jugé.

Cela s'est notamment vérifié à Tulsa, où un autre Noir, Terence Crutcher, a été abattu vendredi dernier alors qu'il était tenu en joue par les policiers après avoir marché jusqu'à son véhicule les mains en l'air.

La policière blanche auteure du tir mortel a été inculpée jeudi d'homicide involontaire. Visée par un mandat d'écrou, elle a été libérée vendredi après avoir réglé une caution de 50 000 $.

La mort de Keith Scott, dénoncent les manifestants, est le dernier symbole en date des brutalités policières que subissent les Noirs aux États-Unis. Ces deux dernières années, les tensions raciales se sont électrisées dans un pays régulièrement choqué par des homicides d'Afro-Américains, parfois non armés, abattus par la police.

À Charlotte, assure la mairesse de la ville, le couvre-feu devrait se prolonger encore cette nuit.

Barack Obama, premier président noir de l'histoire des États-Unis, s'est exprimé brièvement vendredi sur ces événements, alors qu'il s'apprête à inaugurer samedi à Washington un musée dédié à l'histoire afro-américaine: l'ouverture de cet établissement va permettre aux Américains de «replacer certains événements dans un contexte historique», a-t-il espéré.

«Les gens qui voient ce qui se passe à Charlotte et qui visiteront ce musée comprendront mieux les revendications des Noirs, ce qui leur permettra de prendre du recul et de dire: "Je comprends, je compatis"».

- Avec Michael Mathes, Shahzad Abdul de l'Agence France-Presse et la Presse canadienne