L'accord est historique: après un demi-siècle de tensions héritées de la Guerre froide, les États-Unis et Cuba ont annoncé mercredi le rétablissement de leurs relations diplomatiques.

«Cela a pris du temps, mais l'heure est venue», a lancé le président Barack Obama dans les jardins de la Maison-Blanche, rappelant - pour mieux souligner qu'il était temps de tourner la page - que les relations diplomatiques avaient été suspendues par Dwight Eisenhower en 1961, année de sa naissance.

Dans une lettre lue presque au même moment à la télévision nationale, son homologue cubain Raul Castro confirmait la réouverture prochaine d'ambassades dans les deux capitales.

Avec cette annonce, M. Obama consolide, à 18 mois de son départ de la Maison-Blanche, une des initiatives majeures de sa politique étrangère. Hasard du calendrier, le président est aussi mobilisé sur un autre dossier diplomatique sensible: les négociations sur le nucléaire iranien qui sont entrées dans la toute dernière ligne droite, à Vienne en Autriche.

Mettant en avant l'enthousiasme suscité par le rapprochement avec Cuba, aux États-Unis et à travers le monde, depuis l'annonce faite en décembre, M. Obama a annoncé que le secrétaire d'État John Kerry se rendrait cet été à La Havane pour «hisser fièrement le drapeau américain sur notre ambassade». Il s'agira de la première visite d'un chef de la diplomatie américaine à Cuba depuis 1945.

Les relations diplomatiques seront formellement rétablies le 20 juillet, a indiqué un responsable américain. Selon La Havane, l'ouverture de l'ambassade cubaine à Washington aura lieu le même jour. Les États-Unis n'ont pas annoncé de date pour l'ouverture de leur ambassade, mais laissé entendre qu'elle n'aurait pas lieu à la même date.

Depuis 1977, les deux pays sont chacun représentés par le biais de Sections d'intérêt, chargées essentiellement de tâches consulaires.

«Vestige de la Guerre froide»

L'exécutif américain a évoqué à plusieurs reprises la possibilité d'une visite de M. Obama à Cuba en 2016, mais aucune date n'a été annoncée à ce stade.

En visite à la Maison-Blanche mardi, la présidente brésilienne Dilma Rousseff avait salué ce rapprochement avec Cuba, y voyant une «étape cruciale dans les relations entre les États-Unis et l'Amérique latine» permettant «de mettre fin aux derniers vestiges de la Guerre froide».

Mercredi, l'Union européenne, qui n'a jamais rompu les relations avec le régime castriste, a salué «un signal encourageant pour la communauté internationale».

Promettant de rester vigilant et exigeant avec La Havane sur la question des droits de l'homme, le 44e président des États-Unis a appelé à poursuivre la normalisation engagée, demandant au Congrès de lever l'embargo, imposé à Cuba par John F. Kennedy en 1962 et sévèrement renforcé par la loi Helms-Burton de 1996.

Toujours en vigueur, cet embargo américain total sur les transactions économiques et financières avec Cuba est régulièrement dénoncé par La Havane comme un obstacle au développement de l'île.

«Les Américains et les Cubains sont prêts à aller de l'avant. Je pense qu'il est temps pour le Congrès de faire de même», a souligné M. Obama, jugeant nécessaire de lever les restrictions qui empêchent les Américains de voyager ou de faire du commerce avec Cuba.

Les deux chambres du Congrès étant contrôlées par les adversaires républicains de M. Obama, le processus législatif s'annonce cependant long et semé d'embûches.

«Concessions unilatérales»

«Bonne étape pour les peuples américain et cubain», a réagi sur Twitter Hillary Clinton, candidate démocrate à la Maison-Blanche.

Mais cette avancée est loin de faire l'unanimité dans le camp républicain.

Le candidat à la Maison-Blanche et ex-gouverneur de Floride Jeb Bush a estimé qu'une ambassade américaine à La Havane légitimerait «la répression à Cuba» et ne permettrait pas de promouvoir «la liberté et la démocratie».

Marco Rubio, autre républicain candidat à la présidence, a affirmé qu'il s'opposerait, au Sénat, à la confirmation d'un ambassadeur lorsqu'un nom aura été proposé par M. Obama. Né à Miami de parents cubains, le sénateur de Floride est vent debout contre l'initiative diplomatique du président démocrate.

Le sénateur du Texas Ted Cruz a de son côté fustigé une politique de «reddition sans conditions face à Fidel et Raul Castro», dénonçant «l'un des régimes les plus violemment antiaméricains de la planète».

Depuis 50 ans, des centaines de milliers de Cubains ont émigré aux États-Unis. Si les émigrés «politiques» des débuts de la Révolution restent farouchement opposés à tout rapprochement avec le régime de La Havane, les immigrés plus récents ont de leur côté conservé de solides attaches dans l'île et ont accueilli beaucoup plus favorablement l'annonce d'un dégel.

Les relations entre Cuba et les États-Unis depuis 1961

Le réchauffement des relations entre les États-Unis et Cuba franchit une nouvelle étape avec un accord pour la réouverture d'ambassades.

- 1961: Washington rompt en janvier les relations diplomatiques avec La Havane. En avril, échec de la tentative de débarquement d'exilés cubains soutenus par les États-Unis dans la baie des Cochons.

- 1962: John F. Kennedy décrète en février un embargo commercial contre Cuba.

En octobre, crise majeure entre les États-Unis et l'URSS après l'installation de missiles nucléaires soviétiques sur l'île.

- 1977: Jimmy Carter allège l'embargo, ouverture du Bureau des intérêts américains à La Havane.

- 1995: signature d'accords migratoires.

- 1996: renforcement de l'embargo américain avec la loi Helms-Burton.

- 2001: George W. Bush renforce l'embargo en limitant davantage les voyages et l'envoi d'argent sur l'île.

- 2004: Cuba annonce la fin de ses transactions commerciales en dollars.

- 2009: Barack Obama lève les restrictions aux voyages et l'envoi d'argent par les Cubano-Américains. Des représentants américains et cubains entament des discussions informelles.

- 2012: En visite à La Havane, le pape Benoît XVI dénonce «les mesures économiques restrictives imposées de l'extérieur», en référence à l'embargo américain.

- 2013: Barack Obama et Raul Castro échangent une poignée de main historique pendant l'hommage à Nelson Mandela en Afrique du Sud.

- 2014: Le 9 janvier, Cuba et les États-Unis reprennent leur dialogue sur la politique migratoire.

- 3 déc.: Washington conditionne une détente avec Cuba à la libération d'Alan Gross, un sous-traitant du département d'État arrêté fin 2009 pour espionnage et condamné à 15 ans de prison en 2011.

- 17 déc.: M. Gross est libéré ainsi qu'un autre Américain, détenu pendant 20 ans, en échange de trois Cubains incarcérés aux États-Unis.

Barack Obama et Raul Castro annoncent simultanément des discussions pour rétablir les relations diplomatiques. Une annonce historique après 18 mois de négociations secrètes sous l'égide du Vatican et du Canada.

- 2015: le 15 janvier, les États-Unis facilitent les voyages et le commerce avec Cuba, dans certaines limites, pour atténuer l'effet de l'embargo.

- 20 janvier: Obama demande au Congrès, dominé par les républicains, d'ouvrir un débat cette année sur la levée de l'embargo.

- 22 janvier: Première session de négociations à La Havane sur la réouverture d'ambassades. De «profonds différends» mais poursuite du dialogue.

- 26 janvier: Fidel Castro rompt son silence, affirmant ne pas rejeter le rapprochement, même s'il ne fait pas confiance à Washington.

- 27 février: Deuxième session de pourparlers à Washington. Des «progrès» mais rien de concret.

- 3 et 31 mars: Le 3, entrée en service d'une ligne téléphonique directe entre les deux pays. Le 31, réunion consacrée aux droits de l'homme.

- 11 avril: Face-à-face historique entre MM. Obama et Castro au Panama, le premier entre présidents des deux pays depuis la révolution castriste de 1959.

- 14 avril: Barack Obama décide de retirer Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme. Un préalable pour La Havane à la reprise de relations diplomatiques.

- 5 mai: Les États-Unis autorisent le transport de passagers par transbordeur avec Cuba.

- 21-22 mai: Troisième session de négociations pour la réouverture d'ambassades.

- 29 mai: retrait effectif de Cuba de la liste noire américaine d'«États soutenant le terrorisme».

- 1er juillet: Obama annonce le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba, et la réouverture des ambassades.