Depuis le début de l'année, l'Indiana vit la pire épidémie de virus d'immunodéficience humaine (VIH) de son histoire. La crise a forcé le gouverneur républicain Mike Pence à abandonner temporairement un dogme moral: l'opposition aux programmes d'échange gratuit de seringues. L'épidémie est concentrée chez des usagers de drogue injectable.

«Aux États-Unis, la morale intervient beaucoup trop dans les questions de santé publique relativement au VIH, pour ce qui est de la transmission chez les usagers de drogues injectables», explique Eli Adashi, spécialiste de santé publique de l'Université Brown (Rhode Island) qui vient de publier un éditorial sur le sujet dans le prestigieux Journal de l'Académie médicale américaine (JAMA). «Tous les médecins le savent: les programmes d'échanges de seringues diminuent le nombre de nouvelles infections. L'opposition à ces programmes, tant par les républicains que les démocrates, est inimaginable. Il me semblait que le changement de position du gouverneur Pence était une bonne occasion de revenir sur le sujet.»

À la fin mars, après 153 nouveaux diagnostics en deux mois dans le comté de Scott, dans le sud-ouest de l'État, le gouverneur Pence a autorisé un programme temporaire d'échanges de seringues et invalidé trois lois criminalisant la possession d'accessoires liés aux drogues illégales. Le programme d'un mois a été reconduit deux fois depuis.

Situation similaire au Canada

Une situation similaire existe dans des réserves autochtones du Manitoba et de la Saskatchewan, malgré l'existence de programmes d'échanges de seringues dans toutes les provinces canadiennes, selon Mark Wainberg, spécialiste du sida à l'Université McGill.

«Le programme ne rejoint pas certaines minorités, comme les autochtones au Manitoba et en Saskatchewan, dit le Dr Wainberg. Des chercheurs ont demandé à des personnes infectées à cause du partage de seringues souillées si elles savaient que c'était risqué. Elles ont répondu qu'elles pensaient qu'il n'y avait pas de risque si ça restait dans la même famille. C'est le signe que le Canada s'occupe mal de ses autochtones.»

Un programme existant au Québec

Au Québec, il n'y a pas d'épidémie de VIH liée aux drogues injectables dans les communautés autochtones, selon le Dr Wainberg, peut-être parce que ces drogues y sont moins populaires que dans les Prairies.

Les programmes d'échanges de seringues existent au Québec depuis une dizaine d'années. «La prochaine étape, c'est le site d'injection supervisée. Il y en a en Colombie-Britannique et la Cour suprême a récemment décrété que le gouvernement fédéral ne pouvait pas le fermer. Malheureusement, au Québec, il y a eu de l'opposition, même dans la communauté gaie. Les gens ne veulent pas ce genre de clientèle près de chez eux. Ça permet pourtant d'éviter les surdoses, grâce à la présence d'une infirmière», indique le Dr Wainberg. Aucune étude n'existe par contre pour évaluer l'impact des sites d'injection supervisée sur les nouvelles infections à l'hépatite B ou au VIH, selon lui.

Les États-Unis sont très loin d'ouvrir des centres d'injection supervisée, selon le Dr Adashi. «La priorité, c'est de faire accepter les programmes d'échanges de seringues, interdits en vertu de lois interdisant le financement public de ce type de programmes. La première loi de ce genre est fédérale, date de 1988 et a été copiée par 23 États. Plusieurs États ont aussi des lois criminalisant la possession d'articles liés aux drogues illégales. Seulement 16 États autorisent explicitement les programmes d'échanges de seringues.»