Le danger posé par la libération de cinq talibans de la prison de Guantánamo contre celle d'un soldat américain détenu en Afghanistan ce week-end a été «suffisamment minimisé», s'est défendue lundi la Maison-Blanche.

Capturé par les talibans le 30 juin 2009 après sa disparition dans le Sud-est afghan, Bowe Bergdahl, 28 ans, a été libéré samedi en échange de cinq anciens cadres du régime taliban emprisonnés à Guantánamo et considérés comme toujours influents au sein de la rébellion.

Cet échange de prisonniers a été négocié avec l'aide du Qatar, qui a joué les intermédiaires, et où les cinq talibans vont devoir passer au moins un an, mais leur libération a soulevé de nombreuses critiques aux États-Unis.

«Notre pays a toujours fait en sorte de récupérer ses prisonniers, nous ne les abandonnons pas», a déclaré lundi matin le porte-parole de la Maison-Blanche Jay Carney, dans une interview sur CNN.

Il a assuré que «la menace potentielle posée par la libération de ces prisonniers avait été suffisamment minimisée pour nous permettre d'agir et de ramener Bowe Bergdahl», précisant que la décision avait été prise «en consultation avec toute notre équipe de sécurité nationale».

M. Carney a ajouté que les talibans libérés étaient sous surveillance et soumis à une sorte d'assignation à résidence durant un an, ce qui a donné au chef du Pentagone Chuck Hagel «assez d'assurances pour prendre la décision» de procéder à l'échange.

«Je peux dire que nous avons confiance dans le fait que les mesures mises en place en accord avec le pays hôte (le Qatar, NDLR) nous permettent d'être confiants sur le fait que la menace est suffisamment minimisée», a encore insisté le porte-parole de l'exécutif américain.

L'accord scellé par les États-Unis en Afghanistan pour libérer leur soldat s'est attiré dès ce week-end les foudres des républicains et d'associations, qui se sont alarmés d'une mise en danger des Américains dans les zones de conflits.

L'opposition républicaine a notamment tiré à boulets rouges contre l'administration démocrate coupable d'avoir «traité avec des terroristes».

Bowe Bergdahl a passé cinq ans aux mains des talibans, retenu dans divers endroits le long de la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan. Il est arrivé dimanche au centre médical de Landstuhl, dans le sud de l'Allemagne.

Craintes en Afghanistan

«Acte irresponsable», réminiscence des «années sombres», «impact négatif sur le processus de paix» : la libération des cinq talibans de Guantánamo a saisi d'effroi une partie de la population afghane, inquiète à l'idée qu'ils puissent revenir sur le champ de bataille.

Un an loin de l'Afghanistan, mais qu'arrivera-t-il après?

«Ce sont des guerriers», lâche Waheed Paiman, un représentant de la société civile d'Hérat, grande ville et moteur économique de l'Ouest afghan. «On peut craindre qu'ils retournent sur le champ de bataille».

«Leur libération aura aussi un impact négatif sur le processus de paix parce que la plupart d'entre eux sont des membres importants des talibans», et leur retour pourrait galvaniser les troupes des insurgés qui livrent une guérilla meurtrière dans le pays, ajoute M. Paiman.

Le mollah Omar, chef suprême de la rébellion islamiste, s'est d'ailleurs déjà enorgueilli de cette libération qu'il a qualifiée de «grande victoire», et des images montrant l'arrivée triomphale des cinq hommes au Qatar circulaient abondamment sur des sites internet favorables aux talibans.

Mais quand certains se réjouissent, d'autres font grise mine.

«Nous sommes presque au second tour de l'élection présidentielle (le 14 juin, NDLR) et la libération de ces cinq hauts responsables des talibans aura un impact psychologique négatif sur les gens. Cela risque de faire peur et de décourager les gens d'aller voter», avance Bahara Bahar, une militante féministe d'Hérat.

D'aucuns vont même plus loin en réclamant des poursuites contre ces anciens représentants d'un régime qui interdisait notamment l'éducation et le travail des femmes et bannissait la musique et les loisirs.

«Du sang sur les mains» 

«Ils devraient être jugés, leur libération est un acte irresponsable», s'emporte Amir Mohammad Ziaye, directeur adjoint d'un cercle religieux à Mazar-i-Sharif (nord), visant plus particulièrement l'un des cinq libérés, le mollah Norullah Noori, qui commandait la province de Balkh pour le régime taliban.

«Norullah Noori a du sang sur les mains», dit-il, faisant allusion à un massacre organisé par les talibans à Mazar-i-Sharif en août 1998.

«Nos proches et voisins ont été tués», renchérit Hussain Ali, un chauffeur de taxi de cette ville, évoquant les «années sombres» du régime taliban.

«Je suis profondément déçu d'entendre qu'ils ont été libérés», ajoute-t-il, accusant Kaboul et Washington de faire le jeu des insurgés et du «terrorisme».

Malgré tout, des Afghans veulent croire que cet échange de prisonniers aura à terme des conséquences positives sur le processus de paix en Afghanistan, actuellement au point mort.

«Les États-Unis ont franchi la première étape en vue de négociations de paix, car la toute première demande des talibans était la libération de ces prisonniers», souligne Wali Mohammad Adid, un journaliste-analyste de Kaboul.

«C'est du gagnant gagnant pour Washington : il a pu récupérer leur soldat, tout en répondant à la requête des talibans», estime-t-il, espérant que des discussions de paix concrètes pourront commencer dans les prochains mois.

Si les talibans «rejoignent le processus de paix, leur libération aura eu un effet positif», acquiesce Rassoul Azimi, un étudiant d'Hérat. «Mais s'ils reviennent sur le champ de bataille, ce sera une catastrophe».

- Avec Hamid Fahim