Aux États-Unis, il est plus facile et moins cher d'être accepté à Harvard que d'obtenir une place dans certaines maternelles. À New York, certains établissements exigent en effet plus de 40 000$ par année en plus d'imposer des tests d'entrée dignes des grandes universités.

Eric Baker a deux fils: Tomas, 7 ans, et William, 10 ans. Chaque année, ce New-Yorkais d'adoption dépense plus de 60 000$ pour les envoyer à la Blue School, école privée prestigieuse du sud de Manhattan.

«Parfois, je me dis que j'économiserais beaucoup si mes enfants allaient à l'école publique», admet le père de famille en conduisant ses rejetons à l'école. Sa principale motivation pour les envoyer à la Blue School? «La taille des classes», dit-il.

Celles de Tomas et de William comptent en effet un maximum de 18 élèves, toujours encadrés par au moins 2 professeurs possédant chacun un doctorat. Les locaux, conçus par le réputé architecte David Rockwell, sont aussi modernes que lumineux.

Si elle n'est pas la plus chère, la Blue School compte tout de même parmi ces écoles luxueuses qui fleurissent à New York. D'autres établissements, telle la Riverdale Country School, demandent quant à eux plus de 40 000$ par an dès la maternelle, soit plus qu'Harvard!

Tests d'entrée

Dans la Grosse Pomme, la maternelle est le point d'entrée principal des écoles primaires. Et les demandes d'inscription sont tellement nombreuses dans les maternelles d'élite que ces dernières doivent faire leur sélection autrement que par l'argent. La plupart d'entre elles imposent donc aussi des tests d'entrée et des entrevues aux bambins dès l'âge de 4 ans.

Résultat: bien des parents anxieux de décrocher une place pour leur enfant font appel à des tuteurs bardés de diplômes.

Bige Doruk est la propriétaire de Bright Kids NYC, une entreprise qui offre des cours particuliers aux enfants. Elle emploie plus d'une centaine de tuteurs et exige environ 170$ l'heure aux parents qui veulent que leurs bouts de chou obtiennent la meilleure note possible à leur examen d'entrée à la maternelle.

«Si les parents sont prêts à payer 40 000$ par an pour une école maternelle, ils veulent être sûrs que leurs enfants pourront intégrer l'école de leur choix», dit-elle.

Ses clients? Des parents riches ou aisés qui souhaitent que leurs enfants soient sélectionnés dans une maternelle privée réputée ou dans les quelques écoles publiques pour enfants «doués et talentueux» de New York.

Encore plus compétitives, ces dernières ne considèrent que les enfants qui ont obtenu un score de plus de 95% à leur examen.

Victoria Preys et Alex Viderman comptent parmi ces parents anxieux, prêts à faire des pieds et des mains pour que leurs enfants intègrent le système des écoles pour enfants «doués et talentueux». À trois ans et neuf mois, leur fille, Natalie, suivait ainsi trois cours par semaine en prévision des tests d'entrée à la maternelle, en plus de faire des devoirs tous les soirs.

Chaque samedi, elle rencontrait une tutrice privée de 9h à 10h30 dans les locaux de Bright Kids NYC, dans le sud de Manhattan. À 11h, elle allait à Harlem pour un cours de logique et de reconnaissance des formes avec trois autres bambins de son âge. Puis, en après-midi, elle se rendait à son cours privé de français, sa troisième langue après l'anglais et le russe!

Comme son frère plus âgé, Natalie a réussi brillamment ses examens d'entrée à la maternelle. Pour ses parents, tous ces efforts en valent amplement la peine. «Investir dans l'avenir de ses enfants, c'est le meilleur investissement que l'on peut faire en tant que parents», souligne Alex Viderman.

Inquiétudes

Si ce point de vue est partagé par bien des parents, il inquiète toutefois certains spécialistes. «Quand ces enfants ont 4 ou 5 ans, qu'ils sont en âge de se découvrir à travers le jeu et de trouver leur place dans le monde, on leur vole tout ça», déplore Joan Almon, cofondatrice de l'Alliance pour l'enfance.

Elle croit que la course à la performance imposée aux enfants est responsable d'une «augmentation importante des maladies psychologiques et des cas d'anxiété chez les jeunes enfants».

Mais elle prêche un peu dans le désert. Si les écoles privées et les écoles pour enfants «doués et talentueux» songent aujourd'hui à laisser tomber ou à modifier l'actuel examen d'entrée à la maternelle, ce n'est que pour le remplacer par un autre plus compétitif.

La raison? Avec les nombreux cours de préparation à la maternelle, les bambins sont désormais trop nombreux à obtenir des scores spectaculaires...