La justice militaire américaine a conclu mercredi un accord majeur avec un influent membre présumé d'Al-Qaïda, une stratégie qui vise à accélérer les procès des détenus de Guantanamo jusqu'ici au point mort, selon des experts interrogés par l'AFP.

Le Pakistanais Majid Khan, 32 ans, dont neuf derrière les barreaux, a plaidé coupable de «complot, assassinat et tentative d'assassinat en violation des lois de la guerre, soutien matériel à une entreprise terroriste et espionnage».

En échange d'une réduction de peine, ce détenu de «grande valeur», qui risquait la perpétuité en cas de procès, a accepté de coopérer et pourrait témoigner contre d'autres détenus dont son ancien acolyte, le cerveau autoproclamé des attentats du 11-Septembre, Khaled Cheikh Mohammed (KSM).

Cet accord «est partie intégrante d'une stratégie visant à construire des dossiers plus solides contre une poignée d'accusés que le gouvernement prévoit de traduire devant des commissions militaires», souligne Jonathan Hafetz, l'avocat d'un détenu de Guantanamo.

C'est le septième prisonnier de la prison américaine à être reconnu coupable, dont cinq ont plaidé coupables depuis la création de tribunaux militaires d'exception en 2001, sous l'administration Bush, pour juger les «combattants ennemis».

«Plus de détenus sont morts à Guantanamo que ceux qui y ont été jugés», a observé l'ex-chef des procureurs militaires, le colonel Morris Davis.

Dix ans après les attentats de 2001, KSM et quatre co-accusés attendent toujours d'être jugés.

Or Majid Khan a été reconnu coupable d'avoir, sous la direction de KSM, fomenté l'explosion de stations-service aux Etats-Unis, préparé un attentat contre l'ex-président pakistanais Pervez Musharraf et livré des fonds ayant servi à un attentat contre l'hôtel Marriott de Jakarta qui a fait 11 morts en 2003.

«Si Khan apporte des informations sur KSM et les autres détenus de grande valeur, comme il semble que cela soit prévu dans l'accord, cela va sans aucun doute mettre un coup d'accélérateur aux procédures», a dit à l'AFP Karen Greenberg, experte à la Fordham Law School.

Car «les informations seront produites aujourd'hui et à travers une procédure légale» au lieu de preuves controversées «obtenues sous la torture» dans des prisons secrètes il y a plusieurs années, a-t-elle ajouté.

«C'est une année électorale», a renchéri le colonel Davis, «le président Obama, prix Nobel de la paix, peut s'enorgueillir d'avoir fait abattre Ben Laden et Al-Aulaqi, donc démolir KSM formerait un triplé gagnant et aiderait à calmer les agitateurs conservateurs qui dénoncent sa faiblesse».

Son successeur, le général Mark Martins, a réfuté que «tout ceci soit politique».

Quelque 36 détenus de Guantanamo doivent encore être traduits en justice, selon le Pentagone, et l'actuel chef des procureurs militaires a dit être là pour «bâtir des dossiers au-delà du doute raisonnable» dans un «système juste et sans motivation politique». «Nous ne faisons pas de lobbying pour décrocher des missions», a-t-il dit devant la presse, dans une allusion à ce plaider-coupable.

«L'administration Obama a montré peu d'enthousiasme avec les commissions militaires, après avoir été bien mal avisée de leur redonner vie plutôt que de les mettre à la poubelle de l'histoire à laquelle elles appartiennent», a dénoncé en revanche Andy Worthington, historien qui milite pour la fermeture de Guantanamo.

Beaucoup déplorent qu'un plaider coupable soit la seule chance de sortir de Guantanamo.

«L'ironie du sort c'est que si vous êtes accusé d'un crime et que vous plaidez coupable, vous savez que vous serez libéré un jour et vous savez à peu près quand. Mais si vous n'êtes pas accusé, vous ne savez pas si vous serez libre un jour, et encore moins quand», selon David Remes, avocat de détenus de Guantanamo.

Le colonel Davis s'est dit «préoccupé» qu'après plusieurs années en prison et la perspective d'une détention à vie, «un détenu soit enclin à dire ou faire n'importe quoi pour voir la lumière au bout du tunnel».