Depuis le jour de sa nomination historique à la Cour suprême des États-Unis, il y a un mois et demi, Sonia Sotomayor a observé un silence complet en public, laissant à d'autres le soin de répondre à ses critiques, parmi lesquels certains l'ont accusée de racisme.

Mais le mutisme de la magistrate d'origine portoricaine prendra fin ce matin, un peu après 10h. Débutera alors sa première audition devant la commission judiciaire du Sénat américain, dont les membres démocrates et républicains la soumettront à un interrogatoire en règle sur son expérience, sa philosophie judiciaire, son tempérament et ses déclarations passées, afin de déterminer son aptitude à remplacer le juge David Souter, qui s'est retiré.

Retransmise en direct par les chaînes d'information continue, l'audition de Sonia Sotomayor s'inscrira dans un rituel cher à Washington qui a déjà engendré des affrontements mémorables. En 1987, par exemple, le Sénat a refusé de confirmer la nomination du juge Robert Bork après 12 longues journées d'auditions. Quatre ans plus tard, le juge Clarence Thomas a échappé de justesse au même sort après qu'une de ses anciennes employées, Anita Hill, l'eut accusé, devant la commission judiciaire du Sénat, de harcèlement sexuel.

À moins d'une surprise, l'interrogatoire de Sonia Sotomayor ne devrait pas donner lieu à des moments aussi explosifs. En fait, à peu près tout le monde s'attend à ce que la nomination de la juge âgée de 55 ans soit confirmée par le Sénat, où les démocrates peuvent compter sur au moins 58 votes (en excluant ceux de Robert Byrd et d'Edward Kennedy, tous les deux malades) sur 100.

Mais le caractère historique du premier choix de Barack Obama à la Cour suprême - Sotomayor est en passe d'entrer dans l'histoire à titre de première hispanique à la plus haute instance américaine - et la nature même des critiques dont fait l'objet la magistrate conféreront à son passage sur le gril un intérêt particulier.

Les auditions dureront au moins quatre jours et verront défiler, outre Sotomayor, une trentaine de témoins qui exprimeront leur appui ou leur opposition à la confirmation de la candidate d'Obama, qui a été désignée juge fédérale par George Bush père en 1991 puis juge à la Cour d'appel de New York par Bill Clinton en 1997. Le maire de New York, Michael Bloomberg, et l'ancien joueur de baseball David Cone feront partie des témoins de la défense.

Bloomberg saluera le parcours exceptionnel de Sotomayor, qui a grandi dans un quartier modeste du Bronx avant de fréquenter les plus prestigieuses universités américaines. Il soulignera également son centrisme et sa modération en tant que juge. Quant à Cone, il vantera la décision de la magistrate de mettre fin en 1995 à une grève de 232 jours du baseball professionnel en invalidant le contrat collectif que voulaient imposer les propriétaires d'équipes aux joueurs.

Deux noms sont à retenir parmi les témoins qui ont été invités par les républicains à prendre la parole devant la commission judiciaire du Sénat: Frank Ricci et Linda Chavez. Ricci est ce pompier blanc dyslexique à qui la Cour suprême vient de donner raison, par cinq voix contre quatre, dans une cause l'opposant à la municipalité de New Haven, au Connecticut. Il s'était vu refuser une promotion après avoir passé un test que la Ville et le service des pompiers avaient invalidé, car aucun des 19 candidats noirs ne l'avait réussi.

Dans une décision ultérieure, la juge Sotomayor avait donné raison à la municipalité de New Haven. Elle devra expliquer sa décision aux sénateurs républicains, qui voient dans son verdict son incapacité à appliquer la loi de façon impartiale en raison de ses convictions personnelles et politiques.

De son côté, Linda Chavez, ex-membre de l'administration Reagan, ne devrait pas manquer de revenir, comme le feront plusieurs sénateurs républicains, sur la déclaration de Sonia Sotomayor qui lui a valu d'être traitée de raciste par certains conservateurs, dont l'ancien président de la Chambre des représentants Newt Gingrich.

«J'ose espérer qu'une femme Latina avisée, riche de ses expériences, parviendrait plus souvent qu'à l'inverse à une meilleure conclusion qu'un homme blanc qui n'a pas vécu cette même vie», a-t-elle déclaré lors d'un discours en 2001.

Selon Chavez, ce commentaire n'était «pas qu'une simple gaffe, mais une description fidèle de ses opinions sur l'importance de la race et de l'ethnicité dans son rôle en tant que juge».

On verra dès aujourd'hui si les républicains parviendront à faire trébucher Sotomayor sur cette question délicate, qui éclipse pour le moment d'autres sujets importants à leurs yeux, dont l'avortement et les armes à feu.