Ça y est. Le compte à rebours est commencé. Dans cinq jours, Barack Obama, sa femme Michelle et leurs deux filles emménageront à la Maison-Blanche. Pour la première fois, une famille afro-américaine s'installera dans la plus célèbre résidence de Washington, construite en partie par des esclaves. Pour les Américains - et le reste du monde - ce sera le début d'une nouvelle ère. Bien sûr, il y aura des échecs, des scandales, d'inévitables déceptions. Mais en ce moment historique, l'heure est résolument à l'espoir.

La première fois que Barack Obama a visité la Maison-Blanche, c'était en 2004, peu après avoir été élu au Sénat des États-Unis. «L'intérieur n'a pas l'aspect lumineux que laissent présager les films ou les reportages télévisés. C'est un lieu bien tenu, mais fatigué ; une vieille maison où l'on doit sentir les courants d'air, les soirs d'hiver», écrit-il dans son dernier livre, L'audace d'espérer.

«Pourtant, alors que du vestibule je laissais mon regard errer dans les couloirs, je ne pouvais oublier que l'histoire s'y était écrite - John et Bobby Kennedy discutant en petit comité de la crise des missiles de Cuba ; F.D. Roosevelt apportant des changements de dernière minute à une allocution radiodiffusée ; Lincoln parcourant seul les couloirs et portant sur ses épaules le poids d'une nation.»

C'est désormais au tour de Barack Obama d'écrire l'histoire. Et de porter le poids d'une nation sur ses épaules. Une nation angoissée par la crise économique et financière. Une nation embourbée dans deux guerres sans issue apparente. Bref, une nation déprimée, qui a rarement entretenu autant d'espoirs envers son président. Comme le reste du monde, d'ailleurs.

Barack Obama, sa femme Michelle et leurs deux filles emménageront mardi dans la vieille maison aux courants d'air. La célèbre résidence géorgienne a été construite en partie par des esclaves. Deux cents ans plus tard, une première famille noire y déposera ses valises. Il n'y a pas d'autre façon de le dire: c'est un événement historique monumental.

Dehors, des centaines de milliers d'Américains seront rassemblés au National Mall pour saluer les nouveaux occupants de la Maison-Blanche. Dans cette mer humaine, les plus vieux se souviendront de l'époque, pas si lointaine, où les Afro-Américains n'avaient pas le droit de vote. Pour eux, l'élection d'un Noir à la tête du pays est une véritable rédemption. Et souligne cette capacité américaine à faire table rase sur le passé pour recommencer à neuf. Cette audace d'espérer, envers et contre tout.

Seront-ils inévitablement déçus?

Des attentes élevées

«L'espoir est un ballon dangereux. Il se gonfle facilement, mais il peut éclater tout aussi facilement », prévient Gil Troy, historien américain à l'Université McGill. « Souvenez-vous du délire des Afro-Américains au soir de l'élection, le 4 novembre. Qu'arrivera-t-il dans six mois, un an ou trois ans, alors que leur situation ne se sera pas vraiment améliorée? Comment accueilleront-ils le fait que Barack Obama n'est pas le messie? Comment la presse accueillera-t-elle ses premiers échecs? Car il y en aura, c'est inévitable.»

«Obama est devenu une icône avant même de prêter serment. Et ça, c'est un peu dangereux. On a rarement vu ça dans nos démocraties, des candidats qui suscitent une telle adhésion, au point où ils en deviennent presque mythiques. Maintenant qu'il est élu, il faut revenir sur Terre», dit Jocelyn Coulon, directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix.

«Chaque fois qu'un président succède à un personnage impopulaire comme Nixon ou comme Bush, on pense qu'il va réinventer le pays, ajoute-t-il. Mais le pays est là, avec ses structures, ses lourdeurs, son dynamisme exceptionnel, et il va continuer à avancer dans la même direction.»

Un grand président ?

Reste que les grandes crises font parfois les grands présidents. «On n'a qu'à penser à Abraham Lincoln pendant la guerre civile ou à Franklin D. Roosevelt pendant la Grande dépression, souligne Gil Troy. Avec le traumatisme du 11 septembre, la guerre en Irak et, maintenant, l'effondrement des marchés financiers, Barack Obama a le potentiel de devenir, lui aussi, un grand président réformateur. Et il en a le désir.»

Y parviendra-t-il? «C'est une autre question, répond M. Troy. Rappelons-nous qu'en 1993, un autre politicien jeune, charismatique et bourré d'énergie a emménagé à la Maison-Blanche. Les gens parlaient de ses pouvoirs de rédemption parce que c'était un gars du Sud, de l'Arkansas. Mais la présidence de Bill Clinton n'a pas répondu aux espoirs suscités à l'époque.»

Donald Cuccioletta, chercheur à la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM, ne s'attend pas à de grands bouleversements sous le règne d'Obama. «Il a fallu du temps avant qu'on réalise l'ampleur du New Deal de Roosevelt. On ne l'a vraiment réalisé que des décennies plus tard, dans les années 60 et 70. Les grands changements de société tardent souvent à prendre forme.»

Ce n'est pas tant le président lui-même, ni ses politiques, qui vont métamorphoser les États-Unis. « C'est surtout qu'Obama va donner à son peuple la volonté de se prendre en mains, de faire des changements au sein de la société américaine, dit M. Cuccioletta. Ça veut dire ouvrir les espaces publics qui avaient été fermés sous l'ère Bush avec le Patriot Act et la guerre contre le terrorisme. Ça veut dire donner un second souffle au pays, raviver le rêve américain. »

La fin des divisions

Rêver. Nos voisins du Sud en ont bien besoin. L'élection de Barack Obama leur a prouvé, pour une fois, ce qu'on leur répète depuis leur tendre enfance : dans ce pays, tout le monde peut devenir président. Même un enfant métis, né d'une Blanche du Kansas et d'un Noir du Kenya. Même un «outsider» ayant tracé seul son chemin jusqu'à la Maison-Blanche, bien loin des grandes dynasties à la Kennedy ou à la Bush, au sein desquelles les enfants naissent dans le pouvoir et sont élevés pour l'exercer.

Pour l'heure, en tout cas, Barack Obama séduit à peu près tout ce que l'Amérique compte de médias, qui multiplient les éditions spéciales... et les hyperboles. Les commentateurs évoquent « l'aube d'une nouvelle ère», parlent déjà de «l'avant» et de «l'après Obama». On le voit comme l'homme de toutes les réconciliations - entre riches et pauvres, entre le nord et le sud, entre les Noirs et les Blancs. N'a-t-il pas promis de s'élever au-dessus de la petite politique de la division afin d'unir le pays?

«Les années Bush et Clinton ont vraiment écorché le tissu social américain, explique M. Troy. D'abord, le scandale Monica Lewinsky a suscité beaucoup de cynisme. La polarisation qui a émergé pendant cette période s'est intensifiée dans les années Bush avec la guerre en Irak, l'ouragan Katrina... un désastre après l'autre. Les Américains cherchent à mettre tout ça derrière eux.»

Obama et le monde

Avec Barack Hussein Obama aux commandes, le Grand Satan changera radicalement de visage.

Désormais, les États-Unis seront dirigés par un homme dont le deuxième prénom rappelle un dictateur déchu... et dont le nom de famille évoque celui du chef d'Al-Qaeda!

Un homme qui a des racines en Afrique et qui a passé une partie de son enfance en Indonésie, le plus grand pays musulman du monde. Un homme, surtout, qui a promis de mettre un terme aux politiques unilatéralistes désastreuses de l'ère Bush.

De quoi donner bien des maux de tête aux adeptes de l'antiaméricanisme, tant dans les pays arabes qu'ailleurs dans le monde. De quoi offrir, aussi, une marge de manoeuvre appréciable au nouveau président.

«Barack Obama change l'atmosphère, dit Jocelyn Coulon. Il envoie un message très positif au reste du monde et ça, c'est déjà beaucoup en diplomatie. La confrontation est terminée. Bien sûr, les États-Unis vont défendre leurs intérêts supérieurs, mais ils veulent recommencer à consulter leurs alliés, remettre le multilatéralisme sur les rails.»

Cela dit, il ne faut pas s'attendre à ce que Barack Obama guérisse tous les maux de la planète, au risque d'être déçu, prévient M. Coulon. «On ne se rend pas compte que, même s'ils demeurent la première puissance du monde, les États-Unis ne sont plus ce qu'ils étaient.»