La Turquie a intensifié samedi son offensive contre le groupe Etat islamique (EI) et les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui ont dénoncé une «agression» et remis en cause le cessez-le-feu en vigueur depuis 2013 avec Ankara.

Dans la matinée, les chasseurs-bombardiers de l'armée de l'air turque ont à nouveau décollé de leur base de Diyarbakir (sud-est) pour continuer de bombarder des positions djihadistes dans le nord du territoire syrien.

Après une première série de raids dans la nuit de vendredi à samedi, les F-16 turcs ont également repris la direction du nord de l'Irak pour attaquer les bases arrière du PKK dans les monts Kandil.

«Des opérations aériennes et terrestres sont en cours», a annoncé à la mi-journée le premier ministre Ahmet Davutoglu devant la presse. «Elles ne sont pas limitées et continueront tant qu'une menace existe contre la Turquie», a-t-il ajouté, «personne ne doit douter de notre détermination».

Les frappes contre les djihadistes marquent un tournant dans la politique syrienne du régime islamoconservateur turc, longtemps accusé par ses alliés de fermer les yeux sur les activités des organisations radicales en guerre contre le régime de Damas.

Celles qui ont visé les rebelles kurdes, les plus importantes déclenchées contre eux depuis 2011, risquent de faire voler en éclats les tentatives faites à partir de 2012 par Recep Tayyip Erdogan, l'actuel président turc, pour mettre un terme à une rébellion qui a fait 40.000 morts depuis 1984.

Le PKK a décrété en 2013 un fragile cessez-le-feu, mais les discussions avec le gouvernement n'ont pas abouti.

«Agressions»

«Les conditions du maintien du cessez-le-feu ont été rompues (...) face à ces agressions, nous avons le droit de nous défendre», ont ainsi jugé les Forces de défense du peuple (HPG), l'aile militaire du PKK, dans une déclaration sur leur site internet.

Le président de la région autonome kurde du nord de l'Irak, Massoud Barzani, a appelé M. Davutoglu pour, selon ses services, lui exprimer son «mécontentement».

Le gouvernement turc a ordonné ces frappes après une série d'attaques contre ses forces de sécurité attribuées ces derniers jours à des militants proches du PKK.

Ce mouvement séparatiste kurde a ainsi revendiqué mercredi l'assassinat de deux policiers dans la ville de Ceylanpinar (sud-est), à la frontière avec la Syrie. Il l'a présenté comme une riposte à l'attentat suicide de Suruç (sud), attribué à l'EI, qui a fait 32 morts et une centaine de blessés parmi des militants de la cause kurde.

La communauté kurde de Turquie accuse le gouvernement de soutenir les djihadistes, ce qu'Ankara a toujours fermement démenti.

Les autorités turques ont rejeté la responsabilité de la situation sur le PKK. «La terreur et la violence exercées par le PKK ont empoisonné le processus de paix», a déclaré le vice-premier ministre Yalçin Akdogan.

«Nous allons poursuivre le processus de paix (...) mais ceux qui abusent de ce processus de paix ne seront jamais tolérés», a renchéri M. Davutoglu.

De son côté, le principal parti kurde de Turquie a mis en cause la stratégie de la tension suivie par M. Erdogan à travers ce «combat contre le terrorisme». «Son but est de mettre le feu au pays afin d'obtenir les pleins pouvoirs», a déploré le Parti démocratique des peuples (HDP) dans une déclaration.

Coup de filet

Pour la deuxième journée consécutive, la police antiterroriste turque a procédé samedi matin à des dizaines d'arrestations de militants supposés du groupe EI et du PKK dans plusieurs villes, dont Istanbul et Ankara, a rapporté la presse turque.

Ce coup de filet, inédit en Turquie dans les rangs djihadistes, a impliqué plusieurs milliers de policiers dans tout le pays.

Selon le bilan fourni samedi matin par le premier ministre, pas moins de 590 personnes ont été placées en garde à vue. Parmi elles figurent plusieurs dizaines de ressortissants étrangers soupçonnés de travailler pour les filières qui permettent d'acheminer les recrues djihadistes en Syrie, via le sol turc.

Depuis lundi, la tension est vive dans de nombreuses villes de Turquie, où les manifestations dénonçant la politique syrienne du président Erdogan sont presque systématiquement réprimées par la police.

Par souci d'apaisement, le principal parti kurde Turquie a annulé la marche antidjihadiste prévue pour dimanche à Istanbul, le gouverneur local l'ayant interdite.

Autre signe de son virage stratégique, la Turquie a confirmé avoir autorisé les États-Unis, et d'autres pays de la coalition antidjihadiste qu'ils dirigent, à procéder à des raids aériens en Syrie ou en Irak à partir de plusieurs de ses bases, dont celle d'Incirlik (sud).

Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu a précisé samedi que les secteurs de la Syrie qui seront débarrassés des combattants djihadistes par ces frappes deviendraient des «zones de sécurité».

La Turquie était jusque-là restée l'arme au pied face à l'EI. Elle avait refusé d'intervenir militairement en appui aux milices kurdes de Syrie, de crainte de voir se constituer une région autonome qui lui serait hostile dans le nord de ce pays.