L'actualité brûlante en Égypte fait oublier une autre tragédie: celle vécue par les coptes, qui ont été récemment ciblés par une épidémie d'attaques, a constaté notre envoyée spéciale. Ces chrétiens, qui ont appuyé la destitution du président Mohamed Morsi, semblent être les victimes collatérales de la crise qui secoue le pays.

Il était environ 21h30, mercredi, quand des dizaines d'hommes armés de bâtons et de cocktails Molotov ont déferlé dans les rues de Kfar Hakim, une bourgade située à une demi-heure du Caire.

«Islam, islam», hurlaient-ils en lançant des pierres sur les maisons des chrétiens. Mais leur véritable cible, c'était l'église de la Vierge-Marie, abritée dans un immeuble résidentiel de quatre étages.

Depuis son appartement, logé dans la maison voisine, le père Boktor Saad a vu les vandales défoncer la porte de son église, casser les fenêtres et mettre le feu au bâtiment. Puis, le pillage a commencé: quatre télés, un ordinateur, un évier... Le prêtre copte a même vu les pilleurs se battre pour s'arracher leurs parts de butin.

Le raid a duré quatre heures: assez pour laisser l'église dévastée, même si les deux chapelles, situées aux étages supérieurs, ont été relativement épargnées.

Hier, la suie recouvrait les murs de l'immeuble, et des débris gisaient pêle-mêle sur le sol. Sur une icône, la tunique du Christ avait été transpercée d'un coup de poing. «Tout ce qui n'a pas été volé a été saccagé», résume Boktor Saad.

Ce dernier n'a pas pu identifier les agresseurs, dans le noir. Mais il affirme qu'un voisin en a reconnu quelques-uns. Des gars du coin, des islamistes. Frères musulmans? Salafistes? «Un mélange de tout ça.»

L'église de la Vierge-Marie n'est pas le seul lieu saint copte à avoir été visé par des voyous enragés, au cours des derniers jours. Depuis mercredi, en Égypte, 38 églises ont été détruites et 23, partiellement endommagées, selon la compilation de Mina Thabet, d'une association de jeunes coptes, l'Union de la jeunesse Maspero.

Opération orchestrée?

La violence contre les coptes n'est pas un phénomène nouveau en Égypte. Ce n'est pas pour rien que l'église de Kfar Hakim avait été construite, en 2006, dans un immeuble résidentiel sans signe distinctif. Mais l'intensité et la concentration des attaques, qui sont survenues en l'espace d'à peine trois jours, placent ce déchaînement de violence dans une catégorie à part.

D'autant plus que les premiers assauts ont été donnés peu après la dispersion violente des deux sit-in des partisans du président déchu Mohamed Morsi. Personne, ici, ne croit que ce soit une coïncidence.

«Les attaques ont touché huit gouvernorats, presque en même temps», constate Mina Thabet, qui y voit la preuve d'une opération orchestrée.

La multiplication des attaques dans la foulée de l'assaut militaire «suggère qu'il y a un lien entre ces deux événements», dit Daiana el Tawany, chercheuse pour Amnistie Internationale, au Caire.

Si les islamistes s'en sont pris aux églises coptes, c'est pour les punir pour l'appui que le pape Tawadros II a accordé à l'armée, lorsque celle-ci a chassé Mohamed Morsi du pouvoir, avance le père Saad. «Ils s'en prennent à nous pour se venger et pour alimenter la haine religieuse.»

Les coptes ne sont pas la seule cible de la violence des derniers jours. Le père Boktor Saad aurait bien voulu appeler la police. Mais ce même mercredi, des hommes armés ont attaqué le poste de police de Kedrasa, qui dessert Kfar Hakim. Ils ont laissé derrière eux 11 cadavres.

Les autorités indifférentes

Il est loin d'être certain que s'ils avaient été en vie, les agents de Kedrasa se seraient précipités au secours des chrétiens de Kfar Hakim. L'une des constantes de la violence qui s'abat sporadiquement sur les coptes, qui forment environ 10% de la population égyptienne, c'est l'indifférence de ceux qui sont censés les protéger.

En juillet, des villageois enragés ont assiégé une famille chrétienne de Louxor pendant 18 heures, sans que la police ne lève le petit doigt, signale Daiana El Tawany. Bilan: quatre morts. La justice n'est pas plus vaillante et les destructeurs d'églises coptes sont rarement punis.

Kfar Hakim compte 300 coptes, au milieu de 40 000 musulmans. Les relations de voisinage sont bonnes, souligne le père Saad. À un point tel que plusieurs villageois ont protégé leurs voisins chrétiens quand d'autres hommes armés ont voulu se joindre à la bande, mercredi.

Comme me l'ont dit d'autres coptes à la sortie de la messe dominicale, dans une église du Caire, la haine religieuse est véhiculée par les islamistes fanatiques, pas par leurs voisins.

Mais le niveau d'inquiétude monte. «Ce pays, c'est mon pays. Mais je m'inquiète pour l'avenir de mes enfants», confie une prof d'anglais, Youstina Magdi. Un avenir qui, selon le père Saad, dépend du climat politique ambiant. «Si l'armée tue d'autres manifestants pro-Morsi, nous pourrions subir d'autres attaques.»