Le Parlement britannique a refusé jeudi soir d'autoriser David Cameron à lancer une action militaire en Syrie contre le régime de Bachar al-Assad accusé d'avoir utilisé des armes chimiques, à l'issue d'un débat marqué par le souvenir de la guerre en Irak.

Après ce camouflet majeur, le premier ministre s'est aussitôt engagé à respecter ce vote. «Il est clair que le Parlement britannique, qui reflète les opinions du peuple britannique, ne veut pas d'intervention militaire britannique. J'en prends note et le gouvernement agira en conséquence», a-t-il réagi devant le Parlement, sous des huées de députés de l'opposition.

«Je crois fermement à la nécessité d'une réponse forte face à l'usage d'armes chimiques. Mais je crois aussi au respect de la volonté de la Chambre des Communes», a-t-il dit.

La motion gouvernementale a été rejetée par 285 députés, tandis que 272 l'ont approuvée, après sept heures de discussions à la Chambre des Communes, qui avait été convoquée en session extraordinaire par le premier ministre.

De nombreux parlementaires, hantés par le précédent irakien et les prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, avaient exprimé leur scepticisme lors des débats.

L'opposition travailliste, qui compte 257 députés, avait annoncé qu'elle voterait contre la motion, en réclamant des «preuves convaincantes» de l'usage par Damas d'armes chimiques avant toute décision sur une action militaire.

Le premier ministre avait appelé les parlementaires à répondre à un «crime de guerre», tout en reconnaissant qu'il ne pouvait pas y avoir de certitude absolue de la culpabilité du régime.

«Au bout du compte, il n'y a pas une certitude à 100% sur la question de savoir qui est responsable. Vous devez porter un jugement», avait déclaré David Cameron aux députés.

Mais «le fait que le gouvernement syrien possède et a utilisé des armes chimiques ne fait pas l'ombre d'un doute», avait également estimé le dirigeant conservateur, citant comme preuves les récits de témoins oculaires, les réseaux sociaux, les vidéos.

Pour tenter de convaincre les députés, le gouvernement avait publié les conclusions des services de renseignement britannique jugeant «hautement probable que le régime (syrien) soit responsable des attaques aux armes chimiques du 21 août» et indiquant que le «régime syrien a utilisé des armes chimiques mortelles à 14 occasions depuis 2012».

La motion gouvernementale qui a été rejetée condamnait «l'usage d'armes chimiques en Syrie le 21 août 2013 par le régime d'Assad» et convenait «qu'une réponse humanitaire forte est requise de la part de la communauté internationale, impliquant si nécessaire une action militaire qui soit légale, proportionnée et destinée à sauver des vies en empêchant tout usage futur d'armes chimiques en Syrie».

Elle prévoyait la nécessité d'un deuxième vote à la Chambre des Communes avant de déclencher une action militaire, une fois obtenu le rapport des inspecteurs de l'ONU.

«Il ne s'agit pas de prendre parti dans le conflit, d'envahir, de changer le régime ou même de travailler plus étroitement avec l'opposition (syrienne). Il s'agit de l'usage à grande échelle d'armes chimiques et de notre réponse à un crime de guerre, rien d'autre», avait assuré David Cameron.

Le chef du Labour, Ed Miliband, avait quant à lui fait valoir que «les preuves devaient précéder la décision», sans toutefois exclure par principe toute action militaire. «Il faut que nous tirions les leçons de l'Irak. L'une des leçons les plus importantes est le respect des Nations Unies», avait-il poursuivi.

Réunion du Conseil de sécurité

Au Conseil de sécurité de l'ONU, une réunion d'à peine 45 minutes entre les cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France disposant tous d'un droit de veto) s'est achevée sans progrès apparents. Elle s'est tenue à la demande de la Russie, alliée de la Syrie et donc farouchement opposée à toute action militaire.

Face à cette poussée de fièvre, le président syrien Bachar al-Assad s'est engagé à «défendre» son pays «contre toute agression» des Occidentaux.

Fort de l'appui de la Russie, M. Assad, qui avait déjà démenti les accusations «insensées» de recours aux armes chimiques, a martelé que la Syrie était «déterminée à éradiquer le terrorisme soutenu par Israël et les pays occidentaux», assimilant une nouvelle fois la rébellion à du «terrorisme».

«Coup de semonce»

Le président américain Barack Obama, qui avait dit mercredi soir ne pas avoir pris de décision sur la Syrie - tout en parlant d'un nécessaire «coup de semonce» - se réserve le droit d'agir unilatéralement, ont laissé entendre la Maison-Blanche et le département d'État, juste avant le camouflet infligé par le Parlement britannique à David Cameron.

«Le président doit avant tout rendre des comptes aux Américains qui l'ont élu pour qu'il les protège. Et le président est fermement convaincu que les enjeux concernent des mesures nécessaires afin de protéger nos intérêts cruciaux de sécurité nationale», a expliqué le porte-parole adjoint de la présidence, Josh Earnest.

Pour son homologue du département d'État, Marie Harf, les consultations sur la Syrie avec les «alliés» de Washington, comme Londres, sont certes «extrêmement importantes», mais «nous prenons nos décisions en suivant notre propre calendrier».

«L'utilisation d'armes chimiques par le régime syrien contre son propre peuple constitue une situation dans laquelle les intérêts de sécurité nationale américains sont menacés. Il est de notre intérêt (...) que cet usage ne reste pas sans réponse», a insisté Mme Harf.

Ces derniers, qui ont récolté quantité d'«éléments» dans la région de l'attaque chimique, près de Damas, doivent faire un compte-rendu oral au secrétaire général Ban Ki-moon après leur départ de Syrie prévu samedi. Les échantillons recueillis seront transmis à des laboratoires en Europe, conformément à la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, et ces analyses pourraient prendre des semaines, selon un porte-parole de l'ONU, Farhan Haq.

Quoi qu'il en soit, un feu vert du Conseil de sécurité pour l'usage de la force en Syrie est hautement improbable compte tenu de l'opposition de la Russie et de la Chine.

Une riposte «compliquée à construire»

La France, l'autre alliée de Washington au Conseil de sécurité, a reconnu qu'une riposte militaire était «compliquée à construire». Le président François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel ont dit attendre les résultats de l'enquête de l'ONU. Le chef de l'État français a cependant insisté sur la nécessité de «marquer un coup d'arrêt par rapport à l'escalade de la violence».

Et le Canada a d'ores et déjà annoncé ne pas envisager de participer à d'éventuelles frappes.

Le Pentagone a déployé un destroyer supplémentaire face aux côtes syriennes, portant temporairement à cinq le nombre de navires équipés de missiles de croisière en Méditerranée orientale. Le Royaume-Uni a déployé six avions de chasse Typhoon sur l'une de ses bases à Chypre, à une centaine de kilomètres seulement des côtes syriennes.

À Damas, les forces armées syriennes ont été repositionnées hors de leurs postes de commandement, et les habitants se préparaient au pire, certains pliant bagages, d'autres subissant des contrôles renforcés à des barrages routiers.

S'exprimant depuis la Turquie, qui prône une opération musclée contre le voisin syrien, l'opposition syrienne a affirmé que les défections s'étaient multipliées dans l'armée syrienne ces derniers jours.

Dans le camp des alliés de Damas, Moscou a annoncé l'envoi en Méditerranée d'un bateau de lutte anti-sous-marine et d'un navire lance-missiles. L'Iran, par la voix de son chef d'état-major Hassan Firouzabadi, a prévenu qu'une action militaire contre la Syrie aurait des conséquences sur toute la région et mènerait Israël «au bord des flammes». Celui-ci a rétorqué qu'il répliquerait «avec toute sa force» et fait état du déploiement de systèmes d'interception antimissiles.