La Tunisie s'apprête à juger lundi son président déchu Ben Ali, en son absence, tandis que de son refuge en Arabie saoudite celui-ci a contesté vigoureusement les accusations et dénoncé un procès visant, selon lui, à «détourner l'attention» des difficultés du pays.

Lundi matin, devant un tribunal de première instance de Tunis, s'ouvrira la première d'une série d'actions en justice intentées contre l'ancien homme fort de la Tunisie, son épouse Leïla Trabelsi et son entourage.

Dans ce premier volet des actions au civil, ce sont seulement Zine El Abidine Ben Ali et son épouse qui sont poursuivis, suite à la découverte de sommes très importantes en argent et en bijoux, ainsi que d'armes et de stupéfiants dans deux palais.

Depuis sa fuite en Arabie saoudite, le 14 janvier, après un mois d'une révolte populaire durement réprimée, M. Ben Ali était resté très discret. Mais à la veille du procès il a tenu à faire connaître son point de vue.

Dimanche, l'ex-président a «vigoureusement contesté», dans un communiqué de son avocat libanais, toutes les accusations portées contre lui. Et l'homme qui a dirigé la Tunisie sans partage pendant 23 ans a souhaité que son pays surmonte «le chaos et l'obscurité».

La veille, un membre anonyme de son entourage avait dénoncé une «justice de vainqueurs bâtie sur de fausses accusations», affirmant que pour M. Ben Ali, ce procès n'a d'autre but que «de détourner l'attention des Tunisiens des troubles qui agitent le pays».

De nombreux Tunisiens déplorent pour leur part que le président et son épouse, accusée d'avoir accaparé avec sa famille des pans entiers de l'économie tunisienne, ne soient pas sur le banc des accusés.

Pour certains, comme le journaliste Taoufik Ben Brik, opposant acharné du régime, ce procès sans Ben Ali est une «fumisterie» et les autorités auraient mieux fait de juger d'abord les membres de l'entourage présidentiel encore en Tunisie.

Pour d'autres comme Slah Jourchi, vice-président de la Ligue des droits de l'homme, le procès aura quand même «une portée psychologique et politique» car les Tunisiens veulent «connaître la vérité et voir l'ex-président rendre compte au peuple».

Des avocats ont été commis d'office pour défendre M. Ben Ali. L'un d'entre eux a cependant fait savoir  qu'il refuserait de plaider pour l'ex-président.

Dans un entretien au quotidien La Presse, Me Rached Fray a expliqué sa décision en invoquant notamment «sa profonde foi dans les principes de la révolution» et le fait qu'il est secrétaire général de l'ordre national des avocats.

Des Tunisiens «seraient certainement offusqués de voir un membre de l'ordre national plaider pour Ben Ali et son épouse», a-t-il expliqué, tout en soulignant que les droits de la défense seraient préservés car cinq avocats ont été désignés d'office.

Le procès qui commence lundi n'est que le début d'un long processus dont la durée est encore indéterminée. Les autorités ont annoncé que 93 chefs d'accusation avaient été retenus contre l'ex-président et des proches, dont 35 seront déférés devant la justice militaire.

Ces derniers concernent notamment des accusations d'homicides volontaires ainsi que des cas de torture, passibles de la peine de mort.

D'autres personnes de l'entourage de M. Ben Ali doivent aussi être jugées par la justice militaire. Celle-ci instruit de nombreux dossiers sur des faits s'étant produits pendant le mois qui a précédé la fuite du dirigeant déchu afin de déterminer les responsabilités dans la mort de manifestants.

Quelque 300 personnes ont trouvé la mort pendant cette période. Il s'agit, a expliqué un responsable de la justice militaire, de savoir «qui a tué, qui a donné l'ordre de tuer?»

A Paris, le parquet a par ailleurs ouvert une information judiciaire pour blanchiment contre M. Ben Ali afin d'identifier et de geler ses biens en France.