L'artiste chinois souhaitait réaliser une oeuvre sur la dissidence, mais l'entreprise danoise a refusé de lui fournir une quantité importante de briques.

Les propriétaires de Lego ont reconnu hier qu'ils avaient commis une « erreur » en refusant l'année dernière de fournir à l'artiste chinois Ai Weiwei les briques qu'il convoitait pour réaliser une oeuvre sur la dissidence.

Le mea-culpa est venu dans le cadre d'une entrevue accordée au Wall Street Journal par le président du conseil d'administration de la firme danoise, Kjeld Kirk Kristiansen.

Le riche homme d'affaires a indiqué que le refus avait été décidé par un employé du service à la clientèle, qui avait mal interprété la politique de la société en matière de « neutralité politique ».

« C'est un exemple typique de ce qui peut mal se passer dans une grande entreprise », a indiqué l'homme de 68 ans.

Ai Weiwei a déclaré au quotidien que les excuses de l'entreprise étaient les bienvenues, mais qu'elles arrivaient « un peu tard ».

L'artiste, qui a souvent eu maille à partir avec les autorités chinoises, avait utilisé des briques de Lego en 2014 pour créer des portraits de dissidents présentés à la prison d'Alcatraz.

Il devait réaliser un travail similaire l'année dernière pour un musée de Melbourne, qui a passé à l'automne une commande auprès de la firme danoise pour obtenir une quantité importante de briques.

L'entreprise a refusé d'y donner suite en arguant que ses produits ne peuvent être utilisés pour des oeuvres contenant des déclarations « politiques, religieuses, racistes, obscènes ou diffamatoires ».

L'artiste, très présent sur les réseaux sociaux, a dénoncé en ligne la réaction de Lego en la décrivant comme « un acte de censure et de discrimination ».

Il a déclaré que l'entreprise voulait éviter de froisser les autorités chinoises parce que le pays représente un marché important pour elle et qu'une firme associée s'apprête à développer un parc d'attractions Lego à Shanghai.

En janvier, Lego a déclaré qu'elle ne demanderait désormais plus aux personnes commandant des quantités importantes de Lego de préciser le thème de leur projet. La firme a indiqué qu'elle se contenterait désormais de demander aux clients désirant produire des oeuvres publiques avec ses produits de préciser qu'elle ne les cautionne pas.

L'affrontement entre Al Weiwei et Lego survient alors que le régime chinois, sous la gouverne du président Xi Jinping, poursuit une campagne de répression intensive dans le pays.

Un nouvel exemple du tour de vis en cours est venu hier lorsque le Parlement chinois a voté une loi imposant des contrôles serrés aux organisations non gouvernementales à l'oeuvre dans le pays.

Chip Pitts, spécialiste de l'éthique des affaires rattaché à l'Université Stanford, en Californie, note que les efforts répressifs du régime chinois ont rendu encore plus « délicate » la tâche des entreprises occidentales désirant traiter avec le pays.

Lego fait un pas dans la bonne direction en reconnaissant qu'elle a commis une erreur avec Ai Weiwei, mais elle fait fausse route, selon lui, en continuant à s'accrocher à l'idée de « neutralité politique ».

« Ils doivent réaliser que leur marque va se retrouver en péril s'ils ne prennent pas une position ferme pour les droits de l'homme. Au lieu de cela, ils maintiennent l'illusion qu'il est possible pour eux de demeurer neutres », souligne le spécialiste.

Le fait de refuser la vente de briques à l'artiste revient dans les faits à prendre position « contre son oeuvre », relève M. Pitts. D'autant que des dissidents ont utilisé par le passé les fameuses briques pour représenter les affrontements de Tiananmen et la fameuse scène de « l'homme aux tanks » de manière à contourner la censure chinoise.

Il serait plutôt dans son intérêt économique à long terme de l'appuyer de manière à envoyer le message que l'entreprise prend au sérieux la question des droits de l'homme, juge l'analyste.

Même en Chine, note M. Pitts, de plus en plus d'entreprises affichent ouvertement leur attachement à des pratiques respectueuses des droits de l'homme et de l'environnement parce qu'elles ont compris qu'elles risquent, dans le cas contraire, de perdre la confiance du public. Et de compromettre leur capacité de croissance économique.

La même logique s'applique pour Lego. « Ils ont des obligations découlant du droit international, de la morale, mais aussi de leurs propres intérêts économiques », relève M. Pitts.

Image fournie par Lego

Pour ses 50 ans, Lego avait reproduit sur une campagne d’affichage des moments clés de l’histoire. Sur cette image, le soulèvement de la place Tiananmen, en 1989.