Rien ne va plus entre l’ex-président philippin Rodrigo Duterte et son successeur, Ferdinand Marcos Jr., qui avaient conclu une surprenante alliance avant l’élection de 2022 pour remporter la mise.

« Les deux camps se sont montrés respectueux l’un envers l’autre dans l’année et demie ayant suivi le scrutin, mais là, on peut dire qu’ils veulent en découdre », relève Tom Smith, spécialiste de la région rattaché à l’Université de Portsmouth, au Royaume-Uni.

Rodrigo Duterte, qui a dirigé les Philippines d’une main de fer de 2016 à 2022, avait laissé planer la possibilité de s’accrocher au pouvoir avant d’annoncer qu’il se plierait à la limite d’un mandat prévue par la Constitution.

Il a annoncé du même coup son intention de soutenir sa fille, Sara Duterte, comme candidate à sa succession avant que celle-ci ne décide finalement, avec l’aval paternel, de se présenter à la vice-présidence pour faciliter la victoire de Marcos Jr.

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Le président philippin Ferdinand Marcos Jr., le 28 janvier lors d’un rassemblement politique à Manille

Le stratagème a permis à la famille Marcos de revenir au pouvoir près de 40 ans après que l’ex-dictateur du même nom a été obligé de fuir le pays à la suite d’un important soulèvement populaire.

M. Smith note que « le mariage de circonstance » conclu en 2022 devait permettre à Sara Duterte de se présenter à son tour comme présidente en 2028, mais le lien de confiance semble s’être rapidement étiolé.

La fille de Rodrigo Duterte, relève l’analyste, a manifesté de nombreux signes d’impatience au cours des derniers mois qui pourraient être liés au fait que le poste de vice-présidente ne lui permet pas d’exercer beaucoup d’influence à la tête de l’État.

La politicienne, souligne M. Smith, a notamment tenté d’introduire une réforme imposant une forme de service militaire obligatoire rejetée par le camp Marcos, qui craignait de rappeler les abus survenus durant la dictature.

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La vice-présidente des Philippines, Sara Duterte

« L’élection pour le poste de vice-président se fait de façon distincte de celle pour le président. Même en temps normal, on peut donc se retrouver avec deux personnes qui défendent des politiques différentes », souligne l’universitaire.

Le camp Marcos a favorisé un rapprochement avec les États-Unis vu d’un mauvais œil par la vice-présidente et brandi la possibilité de reconnaître de nouveau la juridiction de la Cour pénale internationale, qui enquête sur les exactions commises par l’ancien régime dans le cadre d’une meurtrière « guerre contre la drogue ».

Nouvelles accusations de Duterte contre Marcos Jr.

Rodrigo Duterte était demeuré peu loquace depuis les élections, mais il est récemment sorti de son mutisme en accusant notamment Ferdinand Marcos Jr. de vouloir modifier la Constitution pour pouvoir se représenter à la présidence une fois son mandat terminé.

L’ex-chef d’État a menacé du même souffle de militer pour la séparation de l’île de Mindanao, d’où il est originaire, suscitant une réponse cinglante du gouvernement.

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L’ancien président Rodrigo Duterte, père de Sara, s’est adressé à des partisans lors d’un rassemblement politique aussi tenu le 28 janvier, sur l’île de Mindanao

Un conseiller à la sécurité nationale, Eduardo Ano, a prévenu il y a quelques jours que Manille n’hésiterait pas à utiliser la force pour « empêcher toute tentative de démembrement de la République ».

M. Duterte a lui-même lutté activement contre des groupes de militants communistes et islamistes qui cherchaient à prendre le contrôle de Mindanao durant son passage à la présidence.

Sa menace de sécession « n’est pas très réaliste », souligne M. Smith, qui ne fait pas grand cas non plus du fait que l’ex-homme fort du pays et le président se soient mutuellement accusés publiquement d’être des drogués.

« La tolérance de la population pour les scandales et les gros titres tapageurs est spectaculaire aux Philippines », relève l’universitaire, qui s’attend à ce que les accrochages se multiplient.

Bien qu’il soit en froid avec les Duterte, Ferdinand Marcos Jr. a maintenu la ligne dure en matière de lutte contre la drogue tout en cessant de publier des statistiques à ce sujet, selon Human Rights Watch.

Dans son plus récent rapport annuel, l’organisation de défense des droits de la personne relève que près de 10 000 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre de 2016 à 2022, selon les Nations unies.

Rodrigo Duterte avait promis d’accorder son pardon présidentiel à tout policier ciblé par la justice en réponse à la campagne de répression. De fait, seuls quelques agents mis en cause dans le meurtre filmé d’un étudiant de 17 ans ont été condamnés à la prison.