(Noïakert) Avant de fuir vers l’Arménie, face à l’avancée des troupes azerbaïdjanaises, Souren Martirossian a eu le temps de jeter un dernier regard vers son verger de l’enclave du Haut-Karabakh.

« L’image de notre beau jardin, que j’ai vu pour la dernière fois, est gravée dans ma mémoire : les grenades et les kakis brillaient sur les arbres, sous un soleil éclatant », dit cet homme de 65 ans.

Sa famille, huit personnes au total, a fait partie du flot des quelque 100 000 habitants qui ont quitté ce territoire montagneux, reconquis en septembre par Bakou grâce à une offensive éclair contre les séparatistes arméniens.

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Souren Martirossian

Cet exode de la quasi-totalité de la population arménienne de l’enclave, au centre d’un conflit territorial entre Bakou et Erevan depuis des décennies, a déclenché une crise migratoire en Arménie.

Le 19 septembre, premier jour de l’offensive azerbaïdjanaise, « nous avons entendu des tirs de mitraillettes et des explosions causées par l’artillerie près de notre maison », se remémore Arevik, belle-fille de Souren.

« Au début, nous avons pensé qu’il s’agissait simplement d’une escarmouche de plus avec les Turcs », explique-t-elle en faisant référence aux Azerbaïdjanais, qui parlent l’azéri, une langue turque.

« Mais ensuite, notre chef de village paniqué est arrivé et a dit que nous devions nous enfuir, car les Turcs étaient déjà dans la périphérie de notre village. »

La famille Martirossian vit désormais dans une maison décrépite de Noïakert, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale arménienne Erevan, louée grâce à une aide gouvernementale.

Dissolution

Une seule journée de combat avait suffi pour convaincre les séparatistes arméniens, qui contrôlaient le territoire depuis une trentaine d’années, de se rendre.

Une victoire majeure pour Bakou, qui ramenait ainsi sous son giron cette enclave qui lui échappait jusqu’alors.

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Souren Martirossian et sa famille.

Pour Souren Martirossian, les coupables sont tout trouvés : l’Arménie et les troupes russes de maintien de la paix.

Ces dernières avaient été déployées par Moscou, alliée de l’Arménie, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu qui avait mis fin aux précédentes hostilités dans la zone en 2020.

« Notre armée s’est battue avec courage pour protéger notre patrie, c’est la Russie et le gouvernement arménien qui ont été défaits au Karabakh », assure Souren Martirossian.

Les séparatistes avaient accepté de dissoudre leur république autoproclamée à la fin de l’année, mettant de fait un point final à la longue dispute territoriale entre Bakou et Erevan.

Mais leur dirigeant, Samvel Chakhramanian, s’est finalement rétracté la semaine dernière, à la surprise générale.

L’annonce a beau être spectaculaire, elle n’aura aucun effet concret, car les séparatistes ont été chassés du Haut-Karabakh, désormais sous le ferme contrôle azerbaïdjanais. Et il est peu probable que l’Arménie soit disposée à soutenir le fonctionnement d’une institution séparatiste sur son propre territoire.

Mais les déclarations de Samvel Chakhramanian ont touché une corde sensible chez de nombreux réfugiés du Haut-Karabakh, qui continuent de rêver de l’indépendance de leur enclave, malgré la défaite.

« Les enfants font tout le temps des cauchemars, pleurent la nuit et me demandant quand nous rentrerons à la maison », témoigne Arevik.

Mais, pour elle, un retour n’est envisageable que si la « sécurité » de ses enfants est garantie et qu’elle est certaine de pouvoir vivre en étant « complètement séparée » des Azerbaïdjanais.

« Assassiné mon enfant »

L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont récemment assuré vouloir normaliser leurs relations, historiquement exécrables, en signant un accord de paix.

Ce processus, vu comme une bonne nouvelle par les partenaires de ces pays du Caucase, n’enthousiasme pas les réfugiés du Haut-Karabakh.

Une haine tenace, nourrie par les deux guerres ayant opposé Arménie et Azerbaïdjan au sujet de l’enclave, empoisonne toujours les relations entre les deux peuples.

« Je ne crois pas en la paix » avec les Azerbaïdjanais, dit ainsi Boris Doloukhanian, réfugié de 65 ans, dont le fils a été tué lors du conflit de 2020.

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Susanna et Boris Doloukhanian.

« Comment pourrait-on vivre aux côtés de Turcs qui ont assassiné mon enfant ? », explique-t-il. « Nous devons devenir assez puissants pour reprendre notre terre par la force. »

Boris Doloukhanian affirme que sa famille était « prospère » quand elle vivait au Haut-Karabakh, où elle avait plusieurs maisons, des terrains et même une ferme d’oiseaux exotiques.

« Nous avons laissé notre paradis derrière nous », regrette-t-il.

L’appartement de trois pièces près d’Erevan où ils avaient trouvé refuge est désormais au-dessus de leurs moyens, et la famille va devoir faire ses valises une nouvelle fois.

La petite-fille de Boris Doloukhanian, Rouzanna, 10 ans, espère que « le père Noël fasse un miracle pour qu’on puisse rentrer à la maison ».