La rencontre stratégique annoncée entre les dirigeants de la Corée du Nord et de la Russie s’est concrétisée mercredi matin (heure locale), au grand dam des États-Unis, qui s’inquiètent de son impact potentiel sur le conflit en cours en Ukraine.

Ce qu’il faut savoir

  • Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un est arrivé mardi en Russie pour une rencontre avec son homologue Vladimir Poutine.
  • Des analystes pensent que la Russie pourrait partager des technologies nucléaires sensibles avec Pyongyang en échange d’une livraison d’armes traditionnelles susceptible de l’aider à poursuivre la guerre en Ukraine.
  • Les États-Unis ont mis en garde Pyongyang contre toute manœuvre de ce type, mais ne disposent pas pour l’heure de levier susceptible de freiner Kim Jong-un.

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, qui avait quitté Pyongyang dimanche à bord d’un train blindé, a franchi mardi la frontière entre les deux pays en vue officiellement de « visiter la Fédération de Russie ». Il est arrivé tôt mercredi (heure locale) au cosmodrome de Vostotchny, dans l’est de la Russie, où il a échangé une poignée de main avec le président russe, Vladimir Poutine.

Dans ce voyage, Kim Jong-un est accompagné par de hauts responsables militaires, le ministre des Affaires étrangères et les responsables de la « production d’armes et de la technologie spatiale », selon l’Agence France-Presse.

La délégation donne un aperçu des visées du potentat nord-coréen, qui n’avait pas quitté son pays depuis le début de la pandémie de COVID-19, il y a trois ans.

Avant la rencontre, la Russie s’est aussi montrée peu loquace quant au but de la rencontre, un porte-parole du Kremlin se bornant à dire que les deux dirigeants discuteront de « sujets sensibles ».

Munitions contre technologies balistiques ?

Denny Roy, un spécialiste de l’Asie-Pacifique du East-West Center, note qu’il est possible que la Corée du Nord cherche à obtenir de Moscou des technologies susceptibles de renforcer son programme de missiles et de sous-marins.

Pyongyang cherchait notamment à tirer profit du savoir-faire russe pour réussir à monter sur un missile de longue portée une ogive nucléaire capable de soutenir le retour dans l’atmosphère, note Tom Collina, un expert des questions de prolifération nucléaire du Fonds Ploughshares.

Ils aimeraient aussi pouvoir tirer un missile d’un sous-marin, un autre sujet que les Russes connaissent bien.

Tom Collina, analyste des questions de prolifération nucléaire du Fonds Ploughshares

Du côté de la Russie, « l’enjeu immédiat est d’obtenir des munitions tirées du vaste arsenal nord-coréen afin de pouvoir soutenir son invasion de l’Ukraine », note M. Roy.

Washington a déjà accusé la Corée du Nord en 2022 d’acheminer des armes à la Russie en contournant le régime de sanctions en place tout en relevant que cet apport n’était pas de nature à bousculer le rapport de force dans le conflit.

CAPTURE D’ÉCRAN D’UNE VIDÉO DU GOUVERNEUR RUSSE OLEG KOZHEMYAKO, ASSOCIATED PRESS

Le dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un, et le ministre russe des Ressources naturelles et de l’Écologie, Alexandre Kozlov, mardi à Khasan, en Russie

L’envoi massif d’ogives dont dispose la Corée du Nord ne serait pas non plus de nature à changer la donne sur le terrain alors que les Ukrainiens mènent une contre-offensive qui progresse lentement, note M. Collina.

« On parle d’artillerie peu sophistiquée. Ça va peut-être permettre à la Russie de soutenir un rythme de tir plus élevé, mais ce n’est pas une arme magique », dit-il.

Washington irrité

L’échange projeté entre la Russie et la Corée du Nord n’en déplaît pas moins à l’administration du président américain Joe Biden, qui a prévenu Kim Jong-un de ne pas aller de l’avant.

M. Colinna note que les États-Unis ne peuvent guère faire plus que de sermonner Pyongyang dans le contexte actuel.

Le régime nord-coréen est déjà soumis à de lourdes sanctions en raison de son programme nucléaire et toute tentative pour le pénaliser plus encore en passant par le Conseil de sécurité des Nations unies serait sans doute bloquée par Moscou et la Chine, un autre pays allié.

De quoi est-ce que Pyongyang peut bien avoir peur ? C’est un pays sanctionné qui contourne les sanctions en s’alliant à un autre pays sanctionné.

Tom Collina, analyste des questions de prolifération nucléaire du Fonds Ploughshares

Tant Pékin que Moscou avaient envoyé des représentants de haut rang en juillet pour assister à une parade militaire soulignant l’anniversaire de l’armistice de la guerre de Corée.

En août, la Russie et la Corée du Nord avaient échangé des lettres insistant sur la nécessité de développer « une relation stratégique de longue durée conforme aux demandes d’une nouvelle ère » apparentée par Pyongyang à une nouvelle guerre froide.

M. Roy note que le régime nord-coréen cherche aussi à entretenir de bonnes relations avec la Russie « de manière à faire pression sur Pékin » et l’obliger à maintenir son soutien.

Le rapprochement en cours n’augure rien de bon pour les efforts américains visant à convaincre la Corée du Nord de renoncer à son arsenal nucléaire, que Kim Jong-un considère comme un élément clé pour protéger son régime contre toute agression.

« Les Américains veulent parler de démanteler le programme nucléaire nord-coréen alors que Pyongyang a plutôt en tête de discuter de contrôle des armes nucléaires. Il n’y a rien qu’ils veulent dans ce que les États-Unis ont à offrir actuellement », dit M. Colinna.