En Nouvelle-Zélande, un projet de traduction des panneaux de circulation en maori suscite de vifs débats politiques autour de la question autochtone.

Le projet…

Les panneaux de circulation néo-zélandais pourraient bientôt changer de visage. Le gouvernement a lancé début juin une consultation publique sur un projet d’enseignes bilingues en anglais et en te reo, la langue maorie, qui concerne les autoroutes, les lieux de destination et les transports publics.

Cette initiative s’inscrit dans un contexte de revalorisation de la langue autochtone au pays des kiwis, où celle-ci a été mise de côté pendant des siècles au profit de l’anglais.

L’agence de transports Waka Kotahi a déclaré que c’était « l’occasion d’offrir de la visibilité » au te reo maori, et que « sa présence dans le quotidien des Néo-Zélandais œuvrait en faveur de la cohésion sociale et interculturelle ».

« Cette proposition reflète peut-être le désir grandissant du Néo-Zélandais moyen d’embrasser notre avenir bilingue, renchérit Awanui Te Huia, experte en maori à l’Université Victoria de Wellington. C’est aussi une reconnaissance de l’importance du te reo, comme partie vitale de notre paysage culturel. Voir notre langue dans des espaces publics donne un sens d’inclusivité aux locuteurs maoris, dont un nombre grandissant de jeunes… »

Le débat

Avant même son adoption, le projet a suscité de vifs débats dans l’arène politique et a été démoli par l’opposition de droite, qui en a fait un cheval de bataille à quelques mois des élections, prévues le 14 octobre.

Fin mai, lors du lancement de la consultation, le porte-parole des transports pour le Parti national (PN), Simeon Brown, a déclaré que l’introduction du maori sur les panneaux de circulation créerait de la confusion, et que ceux-ci seraient potentiellement non sécuritaires. « Nous parlons tous anglais, ils [les panneaux] devraient tous être en anglais », a-t-il lancé, estimant que le gouvernement devrait plutôt « dépenser son argent sur les nids-de-poule ».

David Seymour, chef du parti libertarien ACT et potentiel partenaire d’une alliance avec le PN, a lancé pour sa part que l’objectif de la signalisation routière était de « communiquer de l’information dans un langage que les automobilistes comprennent et non de faire de l’ingénierie sociale ».

Des propos qui ont offusqué la dirigeante du parti maori, Debbie Ngarewa-Packer. Ces déclarations témoignent selon elle « d’un obscurantisme alarmiste », considérant que la population néo-zélandaise est composée à 20 % de Maoris.

Quand un grand parti tente de faire abstraction de 20 % de la population, quelle attitude peut-on attendre de ses représentants à l’égard de la diversité des langues et des cultures ?

Debbie Ngarewa-Packer, dirigeante du parti maori

Mais la position du PN ne surprend pas Awani Te Huia, à la lumière du contexte politique. « Avant les élections, nous voyons constamment les partis de droite exploiter des sujets au détriment des autochtones pour faire profiter leur propre programme », dit-elle.

Et au Québec ?

Au Québec, 90 % des panneaux routiers seraient des pictogrammes, selon le ministère des Transports. Les autres sont majoritairement unilingues francophones, sauf près de la frontière américaine, où on trouve quelques enseignes en anglais et en français.

Les langues autochtones, pour leur part, ne sont pas représentées sur les panneaux provinciaux. Dans certaines réserves, on trouve en revanche des « stop » en dialecte local. « Nakai » chez les Innus, « Testan » chez les Mohawks, « Seten » chez les Hurons-Wendats, « ᓄᖅᑲᕆᑦ » chez les Inuits….

Fait intéressant : en 2017, une résidante de Kahnawake a fait fabriquer une vingtaine de panneaux en kanien’kéha, voyant que la langue mohawk était trop peu présente sur les enseignes de la réserve.

  • Panneaux en kanien’kéha, la langue mohawk

    PHOTO FOURNIE PAR CALLIE KARIHWIIÓSTHA MONTOUR

    Panneaux en kanien’kéha, la langue mohawk

  • Panneaux en kanien’kéha, la langue mohawk

    PHIOTO FOURNIE PAR CALLIE KARIHWIIÓSTHA MONTOUR

    Panneaux en kanien’kéha, la langue mohawk

  • Panneau en kanien’kéha, la langue mohawk

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    Panneau en kanien’kéha, la langue mohawk

  • Panneaux en kanien’kéha, la langue mohawk

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    Panneaux en kanien’kéha, la langue mohawk

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Cette initiative personnelle, financée par le conseil de bande, n’est pas passée inaperçue à K-Town.

« J’ai moi-même appris le français en regardant les enseignes, alors je me suis dit que ça pourrait aider ma communauté, explique l’instigatrice du projet, Callie Karihwiióstha Montour. Il ne reste que 300 personnes qui parlent la langue dans la réserve. Ce projet permet de susciter l’espoir et la fierté. Les gens aiment que notre langue soit visible. C’est une façon de la revitaliser. Si aucune loi ne l’interdit, pourquoi s’en priver ? »

Un modèle qui fonctionne

Si le projet est adopté, la Nouvelle-Zélande ne serait pas le seul pays avec une signalisation routière dans les deux langues. Cette pratique est courante un peu partout dans le monde, selon les besoins spécifiques de chacun.

En Europe, la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, L’Espagne et le Royaume-Uni possèdent tous des panneaux reflétant le bilinguisme de certaines régions. Idem en Chine, où l’on retrouve des panneaux en chinois/tibétain, chinois/mongol ou chinois/ouïghour. En Inde, au Sri Lanka, en Israël, les panneaux routiers sont parfois même trilingues.

Des modèles à suivre selon le gouvernement néo-zélandais : « Nous avons identifié des précédents internationaux, a déclaré une porte-parole de Waka Kotahi. La recherche démontre que les signes bilingues n’ont pas mené à une augmentation du nombre de gens qui ont été tués ou sérieusement blessés. »

La consultation publique se termine le 30 juin. Avec les élections en vue – et une victoire possible du PN –, le projet pourrait toutefois être mis sur la glace. Les plus récents sondages donnent le parti national et le parti travailliste au coude-à-coude, avec 35 % des voix chacun.

* Ara Wātea signifie « zone partagée », en langue te rea