(Gangotri) Dans les montagnes de l’Himalaya, où le puissant Gange prend sa source, des hommes remplissent des jerricans de cette eau sacrée pour les croyants hindous, qui leur sera ensuite livrée à domicile dans toute l’Inde.  

Les destinataires utilisent, avec parcimonie, le précieux liquide pour célébrer des occasions importantes, comme les naissances, les mariages, les funérailles, les fêtes religieuses ou même l’acquisition d’un bien coûteux.  

L’eau est recueillie à même la source du Gange, fleuve sacré pour les hindous, qui traverse l’Inde sur 2500 kilomètres.  

Elle est « destinée à tout hindou qui ne peut pas venir ici en personne », explique à l’AFP Ramesh, l’un des employés de Gangotri, ville de pèlerinage hindou.

« Je suis béni de participer à une initiative qui réaffirme notre foi hindoue, en livrant cette eau divine aux quatre coins du pays », poursuit-il.  

Cette entreprise compte parmi de nombreuses autres, de la plus symbolique à la plus imposante, initiées par le premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi, pour promouvoir sa religion dans le pays officiellement laïc depuis son indépendance, il y a 75 ans.  

L’eau, une fois en jerrican, est transportée par camion à 100 km en aval jusqu’à l’usine d’embouteillage, où elle est laissée trois ou quatre jours à décanter. Elle est ensuite filtrée avant d’être transvasée manuellement dans des bouteilles en plastique de 250 ml.  

PHOTO MONEY SHARMA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Eau gratuite

La petite bouteille d’eau est vendue 30 roupies, l’équivalent de 35 centimes à la poste. Les hindous peuvent en commander en ligne par pack de quatre pour 321 roupies. Ces petites bouteilles, portant une étiquette bleue, scellées par un bouchon rouge, ont été expédiées par millions depuis le lancement du programme, il y a six ans.  

Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Modi en 2014, son gouvernement a placé l’hindouisme au cœur de son projet pour la plus grande démocratie du monde, dans le pays de 1,4 milliard d’habitants qui compte aussi 210 millions de musulmans et autres minorités.    

Le parti nationaliste hindou (BJP) de Narendra Modi et sa branche idéologique Rashtriya Swayamsevak Sangh considèrent que l’hindouisme est l’essence même de l’Inde.  

Le plus grand projet religieux de M. Modi est la construction d’un grand temple à Ayodhya sur le site d’une mosquée séculaire détruite il y a trente ans par des fanatiques hindous. L’attaque avait engendré des violences interconfessionnelles ayant fait plus de 1000 morts, essentiellement musulmans.  

L’État du Maharashtra, dirigé par le BJP, finance la construction, au large de Bombay, d’une statue de 210 mètres, d’un coût de 300 millions de dollars, représentant le roi guerrier hindou Chhatrapati Shivaji qui, au XVIIe siècle, a défié l’Empire moghol avec quelques succès.   

Le projet d’autoroute de Chardham, dans l’État de l’Uttarakhand, longue de 900 km, destinée à faciliter l’accès des pèlerins hindous à quatre temples sacrés dans l’Himalaya, a été approuvé par le gouvernement à un coût de 1,5 milliard de dollars.  

Pays « hindou de facto »

Ces sites accueillent déjà des centaines de milliers d’hindous chaque année, et les écologistes s’inquiètent de l’impact de la construction d’autoroutes et de tunnels sur l’écosystème fragile de cette région.   

Des recherches consacrées aux vertus thérapeutiques de l’urine de vache, animal sacré dans l’hindouisme, et la quête de « preuves » de la véracité des légendes des écritures saintes hindoues, sont financées par les deniers publics.  

Certains manuels scolaires ont été réécrits de façon à gommer le rôle historique de l’Empire moghol dans l’édification de l’Inde. De même, les villes aux noms à consonance musulmane sont peu à peu débaptisées pour prendre des noms hindous.  

Ces « initiatives spectaculaires […] forgent un esprit majoritaire et renforcent, à la perfection, le sentiment que désormais nous sommes un pays hindou de facto », estime Hartosh Singh Bal, rédacteur politique pour le magazine The Caravan.  

Pour lui, « Modi sait exactement ce qu’il fait ».  

« Si les détracteurs soulèvent désormais des problèmes pour les minorités ou en matière d’injustice, ils peuvent être étiquetés comme étant opposés à de tels projets de livraison d’eau sacrée du Gange - et (ainsi) les faire taire. »

Les destinataires de ce précieux liquide sont loin de ce type de préoccupations, à l’image d’un facteur de New Delhi, Rupesh Kumar, 23 ans, qui effectue notamment des livraisons d’eau bénite, ce qui lui donne le sentiment d’avoir « une responsabilité supplémentaire ».

« Nous utilisions également l’eau du Gange dans ma famille pour toutes les occasions spéciales et religieuses », explique-t-il à l’AFP, « les gens sont souvent très reconnaissants et polis lorsque je livre ces bouteilles à leur domicile ».