La Chine, qui multiplie les interventions sur la scène internationale pour contrer les critiques de son bilan en matière de droits de la personne, utilise des « influenceuses » issues de minorités opprimées dans l’espoir de se laver de tout soupçon.

L’Australian Strategic Policy Institute (ASPI) relève dans un nouveau rapport paru cette semaine que l’approche permet à Pékin de faire valoir son point de vue sur les réseaux sociaux occidentaux à travers des vidéos apparemment « authentiques » qui échappent aux lourdeurs de la propagande traditionnelle.

Un analyste chinois cité par les chercheurs avance que ces influenceuses sont assimilables à une « guérilla » qui s’active dans « l’arène internationale de l’opinion publique » en appui aux médias d’État présents sur « la ligne de front ».

Les spécialistes de l’ASPI ont ciblé dans le cadre de leurs recherches une vingtaine de « vloggeurs » présents sur YouTube, pour la plupart des jeunes femmes issues de groupes minoritaires vivant dans des régions verrouillées par le régime, y compris notamment le Tibet et le Xinjiang.

En temps normal, une présence en ligne soutenue sur YouTube serait potentiellement dangereuse pour des personnes de ce profil puisque Pékin empêche tout accès aux médias sociaux étrangers en Chine et cible les personnes utilisant un VPN pour tenter de contourner ces restrictions.

De nombreuses personnes originaires du Xinjiang ont notamment été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement par le passé simplement pour avoir téléchargé une application étrangère sur leur téléphone.

Contenu « filtré »

L’un des coauteurs de l’étude, Fergus Ryan, note que les influenceuses autorisées à s’afficher à répétition sur les réseaux étrangers comme YouTube, Facebook ou Instagram sont « attentivement filtrées » et autorisées à opérer après avoir été jugées « politiquement fiables ».

La plupart des vidéos, note l’ASPI, montrent une image « idyllique » des régions controversées en mettant en scène des femmes qui sont « modernes », en phase avec la culture des Hans, groupe ethnique majoritaire en Chine, et fidèles au Parti communiste chinois.

Des sujets délicats comme la politique ou la religion sont passés sous silence au profit de scènes montrant des éléments anodins comme la cuisine ou la danse, même lorsque ces éléments culturels sont directement inspirés de pratiques religieuses.

À cette propagande subtile s’ajoutent occasionnellement des références « implicites » ou « explicites » à des thèmes figurant au cœur du programme du gouvernement, y compris par exemple la promotion de mariages mixtes entre membres de l’ethnie Han et des personnes issues de groupes minoritaires.

Les influenceuses citées abordent parfois directement des thèmes sensibles, niant par exemple l’existence d’exactions à grande échelle contre les Ouïghours au Xinjiang en prenant le contrepied de plusieurs organisations de défense des droits de la personne.

« Les gens vivent et travaillent en paix et dans la joie. Il n’y a pas de génocide et de travail forcé », relève dans une des vidéos une jeune femme se présentant comme une Ouïghoure qui comptait l’année dernière des dizaines de milliers d’abonnés sur YouTube et Twitter.

Confondre pour mieux contrôler

M. Ryan relève que le compte « L’histoire du Xinjiang par Guli », aujourd’hui fermé, était présenté comme une initiative personnelle alors que la réalité était tout autre.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE TWITTER

Les deux femmes qui se présentaient comme les « sœurs Guli » du Xinjiang.

L’ASPI a déterminé que la vloggeuse et une autre femme brièvement identifiée comme sa sœur dans des vidéos précédentes, toutes deux faussement appelées Guli pour l’occasion, relevaient d’une agence qui soutient le gouvernement du Xinjiang dans ses efforts de propagande.

Selon le rapport, les influenceuses sont généralement chapeautées par des agences de ce type, qui sont tenues par la loi de garantir que le contenu diffusé en ligne est conforme aux « valeurs du Parti communiste chinois ».

Les auteurs du rapport relèvent que l’utilisation de tels comptes YouTube est appelée à croître, particulièrement si les réseaux sociaux tardent à se montrer plus réactifs face à ces « formes insidieuses » de propagande étatique.

Jessica Brandt, chercheuse de la Brookings Institution qui étudie les tentatives d’ingérence étrangère et le « techno-autoritarisme », voit dans le rapport de l’ASPI une nouvelle illustration de la volonté de Pékin de « déguiser » ses campagnes d’information.

[La Chine a] appris ça de la Russie. Le but de cette approche est de donner un vernis de légitimité aux messages favorables à Pékin.

Jessica Brandt, chercheuse de la Brookings Institution

Mme Brandt ajoute que la pratique semble gagner en importance.

Gloria Fung, militante canadienne qui a subi de nombreuses pressions de la Chine en raison de ses critiques du régime, ne s’étonne pas du recours à des influenceurs sans lien déclaré avec le pouvoir.

Elle affirme avoir constaté l’apparition sur YouTube de nombreux vloggeurs favorables à Pékin durant la période de contestation ayant mené à l’imposition d’une loi sur la sécurité nationale à Hong Kong ainsi que dans la période de répression subséquente.

Certains, dit-elle, se présentent même comme des militants prodémocratie avant d’intégrer dans leur discours des messages favorables à Pékin.

« Le but est notamment de créer de la confusion », relève la militante, qui insiste sur la nécessité pour les autorités canadiennes de se montrer plus vigilantes à ce sujet.

« La Chine est devenue beaucoup plus active depuis quelques années dans la gestion de son image internationale. Il faut en être conscient », prévient-elle.