(Bali) Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a quitté vendredi à la mi-journée une réunion avec ses homologues du G20 en Indonésie après un flot de déclarations occidentales condamnant l’invasion de l’Ukraine par Moscou.

M. Lavrov et son homologue américain, le secrétaire d’État Antony Blinken, étaient réunis pour la première fois depuis le début de la guerre en février à l’occasion de cette réunion rassemblant les chefs de la diplomatie des 20 plus grandes économies mondiales.

Le sommet, organisé sur l’île de Bali, n’a débouché sur aucune décision concrète mais a donné lieu à une confrontation entre Moscou et les Occidentaux.

Moscou a estimé que les Occidentaux avaient « échoué » dans leur projet de boycotter la Russie, selon la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.

Mais les participants ont « exprimé leurs profondes inquiétudes à propos des conséquences humanitaires de la guerre » en Ukraine, a précisé la ministre indonésienne des Affaires étrangères, Retno Marsudi, en clôturant la réunion.

Les chefs de la diplomatie du G20 ont entamé une réunion qui s’annonce tendue avec la participation du secrétaire d’État américain Antony Blinken et de son homologue russe qui ne s’étaient pas rencontrés depuis le début de la guerre en Ukraine.

L’Indonésie, qui s’est efforcée de maintenir une position de neutralité en tant que pays hôte du G20, avait à son ouverture appelé à la fin du conflit, soulignant ses graves conséquences dans le monde entier.

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La ministre indonésienne des Affaires étrangères Retno Marsudi et son homologue russe Sergueï Lavrov

« Il est de notre responsabilité de terminer la guerre au plus tôt et de régler nos différends à la table des négociations, pas sur le champ de bataille », avait déclaré Mme Marsudi, en présence de M. Lavrov.

L’effet de la guerre « se fait sentir dans le monde entier, sur l’alimentation, l’énergie et les budgets », a-t-elle souligné. « Et comme toujours, les pays pauvres et en développement sont les plus touchés ».

Le G20 n’a pas unanimement condamné l’invasion russe, seuls « certains membres » l’ayant fait, a souligné Mme Marsudi.

Les Occidentaux ont estimé néanmoins avoir réussi à élargir le front contre la Russie et à attribuer clairement la responsabilité de Moscou dans la guerre et les crises énergétique et alimentaire mondiales qu’elle a suscitées.

La Russie isolée

« Ce que nous avons déjà entendu aujourd’hui est un important chœur du monde entier, pas seulement des États-Unis pour […] que l’agression (russe) cesse », a ainsi déclaré à la presse Antony Blinken.

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Le secrétaire d’État américain Antony Blinken

« La Russie a été tellement isolée, que Lavrov est parti de la conférence à la mi-journée, après avoir parlé », a déclaré la ministre des Affaires étrangères française Catherine Colonna dans une interview à l’AFP.

Aucun État, même parmi les membres des BRICS, grands pays en développement plus proches de Moscou, n’a « défendu l’attitude russe », a-t-elle précisé.

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a estimé que Sergueï Lavrov « n’avait pas écouté les autres » au cours de la réunion.

« Ce n’était pas la façon la plus constructive d’assister à une réunion du G20 », a-t-il relevé auprès de l’AFP.

Selon un responsable occidental, voulant rester anonyme, la Russie « a été surprise du nombre de participants du G20 qui ont fait des déclarations fortes contre l’agression russe ».

Un autre responsable a suggéré que Vladimir Poutine allait réfléchir à deux fois avant de se rendre au sommet des chefs d’État prévu à Bali en novembre devant les critiques qu’a dû affronter son ministre des Affaires étrangères.

« Guerre injustifiable »

M. Lavrov n’a pas assisté à la session de l’après-midi au cours de laquelle le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, s’est exprimé en ligne et Antony Blinken a condamné la Russie.

M. Blinken avait refusé de rencontrer son homologue russe séparément, et a dénoncé la responsabilité de la Russie dans les crises alimentaires et énergétiques mondiales, en lui demandant notamment d’autoriser la sortie des céréales d’Ukraine.

M. Lavrov a souligné pour sa part que Moscou ne courrait pas après Washington pour des pourparlers.

Le chef de la diplomatie russe a reproché aux pays occidentaux d’instrumentaliser l’arène du G20 plutôt que de discuter des grands problèmes mondiaux.

« Nos partenaires occidentaux cherchaient à éviter de parler des questions économiques mondiales. Dès qu’ils prenaient la parole, ils se lançaient presque tout de suite dans une critique effrénée de la Russie sur la situation en Ukraine, en nous qualifiant d’agresseurs », a-t-il regretté.

Depuis Moscou, Vladimir Poutine a lui mis en garde vendredi contre de possibles conséquences « catastrophiques » des sanctions occidentales pour le marché mondial de l’énergie.  

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dénoncé au contraire l’utilisation de la crise énergétique comme moyen de pression par la Russie.  

« La Russie a frappé les Européens avec une crise gazière », qui a entraîné « une inflation catastrophique » ayant des retombées « douloureuses pour la plupart des gens en Europe », a-t-il souligné

Une nouvelle aide militaire

Les États-Unis ont par ailleurs promis une nouvelle aide militaire à Kyiv, dont de puissants lance-roquettes et des obus de précision.

Selon un haut responsable du Pentagone, la nouvelle aide militaire américaine d’un montant de 400 millions de dollars — qui comprend quatre systèmes de lance-roquettes multiples Himars et des obus de 155 mm — va améliorer les capacités ukrainiennes à viser des dépôts d’armes et la chaîne d’approvisionnement de l’armée russe.

Grâce aux huit premiers Himars acheminés le mois dernier, les experts militaires estiment que l’armée ukrainienne a pu détruire plus d’une dizaine de dépôts de munitions russes installés à l’arrière de la ligne de front dans l’Est du pays.

Washington a déjà fourni 6,9 milliards de dollars en assistance militaire à Kyiv depuis le début de l’invasion russe, le 24 février.

Antony Blinken avait rencontré auparavant les ministres français, allemands et un représentant britannique pour parler de cette guerre « injustifiable et non provoquée », a indiqué le département d’État. Ils y ont examiné « les façons de répondre aux inquiétudes sur la sécurité alimentaire mondiale qui résultent du ciblage délibéré par la Russie de l’agriculture ukrainienne ».

Les États-Unis, soutenus par une partie de leurs alliés occidentaux, avaient appelé à exclure la Russie des forums internationaux.

Mais l’Indonésie, soucieuse de sa neutralité, avait invité le ministre des Affaires étrangères russe tout comme son homologue ukrainien.

Ce dernier, Dmytro Kuleba, a demandé aux participants de « se remémorer les 344 familles qui ont perdu leurs enfants en écoutant les mensonges russes ».

« Le ministre du pays responsable de leur décès est devant vous aujourd’hui pour partager ses pensées sur la manière dont la Russie voit la coopération dans notre monde globalisé », a-t-il poursuivi.

Pas de photo

La réunion a par ailleurs été assombrie par l’annonce de l’attaque qui a coûté la vie à l’ex-premier ministre japonais Shinzo Abe lors d’un rassemblement électoral dans son pays, et auquel plusieurs ministres ont rendu hommage.

Ce G20 devait être un prélude au sommet des chefs d’État qui doit se tenir à Bali en novembre, initialement consacré aux moyens d’assurer la reprise mondiale après la pandémie de coronavirus.

Mais l’invasion de l’Ukraine a changé les priorités, avec des Occidentaux vent debout contre l’offensive russe, et l’envolée des prix alimentaires et de l’énergie.  

Signe des tensions dans cette réunion, il n’y aura pas de photo de groupe à la fin, contrairement à la tradition, a précisé un responsable indonésien.

En Ukraine, les critiques occidentales n’empêchaient pas vendredi l’armée russe, après quatre mois et demi de guerre, de continuer à pilonner la région de Donetsk dans l’intention de s’emparer de l’ensemble du bassin du Donbass, son objectif stratégique depuis qu’elle s’est retiré des environs de Kyiv fin mars.

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Un résidant de Donetsk regarde de la fumée s’élever dans le ciel après des bombardements, le 7 juillet.

Les frappes russes dans la région de Donetsk ont fait en 24 heures six morts et 21 blessés, a annoncé le gouverneur ukrainien Pavlo Kyrylenko.

L’armée ukrainienne a affirmé avoir repoussé une tentative d’avancée russe près de Sloviansk mais reconnu une progression ennemie au sud de Siversk.

Dans la région de Kharkiv (nord-est), la deuxième ville du pays, les bombardements russes ont fait 4 morts et 9 blessés parmi les civils en 24 heures, a indiqué le gouverneur Oleg Sinegoubov.

Dans le sud, Kyiv a fait état d’explosions vendredi matin dans la région voisine de Mykolaïv, d’où partent les tentatives de contre-attaque vers Kherson, ville occupée depuis les premiers jours de la guerre.

Enfin, à Moscou, un élu municipal a été condamné à sept ans de prison pour avoir dénoncé l’« agression » contre l’Ukraine, en pleine vague répressive pour faire taire toute critique dans le pays.