La loi sur la sécurité nationale imposée il y a deux ans par le gouvernement chinois à Hong Kong a entraîné la fermeture d’une série de médias influents et l’arrestation de nombreux journalistes, sonnant le glas de la liberté de la presse dans l’ex-colonie.

« C’est pratiquement fini. Il y a encore quelques petits médias indépendants en ligne, mais les médias significatifs ont été fermés ou ont été transformés », souligne en entrevue Benedict Rogers, ressortissant britannique qui a travaillé sur place comme journaliste dans les années ayant suivi la rétrocession à la Chine, en 1997.

À l’époque, dit-il, la scène médiatique était « extrêmement dynamique, indépendante et fondamentalement libre ».

PHOTO TIRÉE DU SITE DE HONG KONG WATCH

Benedict Rogers, fondateur de Hong Kong Watch

« J’écrivais régulièrement des éditoriaux qui critiquaient le gouvernement de Hong Kong et les actions de Pékin. Aujourd’hui, ce n’est plus imaginable », souligne M. Rogers, qui s’alarme dans un rapport paru la semaine dernière du « déclin rapide et dramatique » de la liberté de la presse ayant découlé de l’application de la loi sur la sécurité nationale depuis juin 2020.

Au moins 20 journalistes arrêtés

L’organisation qu’il chapeaute, Hong Kong Watch, relève qu’au moins 20 journalistes ont été arrêtés et qu’une douzaine sont détenus en attente de procès. De nombreux autres ont préféré partir à l’étranger ou renoncer à leur travail de crainte de se retrouver dans le collimateur des autorités, qui utilisent les dispositions imprécises de la loi pour faire taire toute critique.

M. Rogers note que le durcissement du traitement des médias s’est d’abord fait sentir sur le terrain en 2019 lors de la couverture des manifestations prodémocratie qui ont secoué l’ex-colonie.

De nombreux journalistes ont été ciblés directement par des policiers avec des gaz irritants ou des projectiles de caoutchouc ou arrêtés abusivement dans le cadre de leurs fonctions.

Les autorités locales ont parallèlement commencé à exercer de fortes pressions pour changer de l’intérieur des médias respectés comme Radio Television Hong Kong (RTHK), qui a suspendu en 2020 un journaliste ayant voulu déterminer l’identité d’hommes armés responsables d’une violente attaque contre des manifestants dans une station de métro.

Au début de 2021, un haut fonctionnaire du gouvernement sans expérience des médias a été nommé à la tête de l’organisation. Sous sa direction, une douzaine d’émissions ont été retirées des ondes et des centaines d’épisodes ont été retirés des archives.

La campagne de répression à Hong Kong a véritablement pris son envol à l’été 2020 après l’introduction de la loi sur la sécurité nationale, qui prévoit de lourdes peines d’emprisonnement pour des crimes mal définis de sédition, de sécession, de terrorisme ou de collusion avec l’étranger.

Le journal Apple Daily et son fondateur, Jimmy Lai, très critique du régime en place, se sont retrouvés dans la ligne de mire des forces de l’ordre.

PHOTO ANTHONY WALLACE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’homme d’affaires Jimmy Lai, en avril 2021

Après avoir arrêté l’homme d’affaires à deux reprises, les autorités ont déployé 500 policiers lors d’un raid musclé dans les locaux de l’entreprise en juin 2021 et fait arrêter de nombreux cadres. Le dernier numéro du quotidien a été publié quelques jours plus tard.

Un autre média indépendant d’envergure, Stand News, a connu le même sort dans la foulée. En janvier 2022, les dirigeants du Citizen News, autre publication importante, ont annoncé qu’ils suspendaient toute activité « afin de pouvoir assurer la sécurité et le bien-être du personnel ».

La prudence est de mise

La loi sur la sécurité nationale continue aujourd’hui de peser lourd sur le milieu, a confirmé lundi en entrevue avec La Presse une journaliste en poste à Hong Kong qui a demandé l’anonymat.

Les travailleurs des médias tendent à se montrer « très prudents », dit-elle, puisque les dispositions de la loi sont vagues et ne décrivent pas clairement les « lignes rouges » à ne pas franchir.

Il devient par ailleurs extrêmement difficile, dit-elle, d’offrir une couverture équilibrée de la vie politique, puisque le camp pro-Pékin contrôle désormais presque tous les leviers du pouvoir et que les dissidents prodémocratie les plus en vue ont pratiquement tous été arrêtés, emprisonnés ou forcés à l’exil.

Les gens qui restent ont peur de parler. Il y a de moins en moins de choses que l’on peut véritablement nommer et discuter maintenant. C’est une nouvelle norme à laquelle il faut s’adapter.

Une journaliste à Hong Kong qui a demandé l’anonymat

Cette journaliste manifeste une certaine résignation face à la situation.

Gloria Fung, qui dirige Canada-Hong Kong Link, déplore l’évolution de la situation dans l’ex-colonie en matière de liberté de la presse et, de manière plus générale, de liberté d’expression.

« Hong Kong devient un endroit où la peur règne et les discussions libres sont découragées. […] Ce ne sera bientôt plus que l’équivalent d’une ville de Chine continentale sans liberté, sans droits de la personne, sans démocratie », relève la militante.

Benedict Rogers pense que les pays occidentaux doivent faire plus pour tenter de renverser la situation.

La mise sur pied de programmes de visas permettant à des résidants sous pression de l’ex-colonie de s’établir à l’étranger, comme l’a fait la Grande-Bretagne, est une bonne chose, mais « ne change strictement rien à la situation sur le terrain », relève le militant.

Des sanctions devraient être mises en place, selon lui, pour cibler de hauts responsables au sein du gouvernement local ainsi que les représentants de l’État chinois chargés de veiller à l’application de la loi sur la sécurité nationale.

« Si l’on permet à la Chine d’en finir avec des libertés fondamentales sans aucune conséquence, le régime va se sentir autorisé à aller encore plus loin, là et ailleurs », prévient M. Rogers.