(New Delhi) L’Inde a franchi mercredi la barre des 250 000 décès dus à la COVID-19 depuis le début de la pandémie, selon les données officielles, mais les chiffres collectés à travers le pays suggèrent un bilan largement plus élevé.

Selon le ministère de la Santé, 4205 personnes sont décédées au cours des dernières 24 heures, portant le nombre total de décès à 254 197 depuis le début de la pandémie. Le nombre de nouvelles contaminations a augmenté de près de 350 000 pour atteindre 23,3 millions.

Dans l’ensemble de la vaste nation de 1,3 milliard d’habitants, la vague dévastatrice de la COVID-19 a submergé les hôpitaux, les crématoriums et les cimetières. Et si la pandémie semble s’atténuer dans les grandes villes, le virus sévit dans l’arrière-pays rural, où vivent les deux tiers de la population.  

« Les décès sont beaucoup plus nombreux que ce que nos données officielles révèlent », affirme à l’AFP Anant Bhan, chercheur indépendant en politique de santé et bioéthique, « même de trois à quatre fois plus serait une sous-estimation ».  

Les chiffres ne collent pas, notamment dans le Gujarat (ouest), l’État d’origine du premier ministre Narendra Modi. Comme à Rajkot, où 154 décès ont été officiellement enregistrés entre le 1er et le 23 avril, quand les responsables de la santé de la ville eux-mêmes en recensaient 723.  

Bharuch, sur la même période, déclarait officiellement 23 décès, mais selon les responsables des crématoriums et cimetières, 600 funérailles ont eu lieu au total.

Pas assez de fossoyeurs

Le ministre en chef du Gujarat, Vijay Rupani, a argué que l’État suivait les directives du Conseil indien de la recherche médicale, stipulant que seuls les décès « directement causés » par la COVID-19 peuvent être enregistrés comme tels.  En revanche, les décès liés à des comorbidités sont exclus du décompte.  

À Lucknow, capitale de l’État d’Uttar Pradesh (nord), au cimetière musulman d’Aishbagh, le fossoyeur Hafiz Abdul Matee se souvient des quatre ou cinq enterrements quotidiens d’avant la pandémie.  

« Aujourd’hui, 45 corps de victimes de la COVID-19 ont été enterrés ici », assure-t-il à l’AFP, « nous avons augmenté le nombre de fossoyeurs, mais cela ne suffit pas non plus, car les hommes se fatiguent et tombent malades ».  

Les chiffres officiels des décès dans plusieurs autres États, dont l’Haryana (nord), ne correspondent pas non plus aux nombres d’enterrements.

Selon la presse locale, il en va de même pour New Delhi.

« Bataille sur les données »

« Notre estimation est que 50 % des décès de COVID-19 ne sont pas enregistrés par le gouvernement », a indiqué à l’AFP Jitender Singh Shanty, responsable d’un des 26 crématoriums de la capitale.  

Porte-parole du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste hindou de Modi, R. P. Singh, interrogés par l’AFP, réfute toute sous-estimation et assure que ces écarts de chiffres sont à imputer à des manœuvres politiques.  

« Il n’est possible pour personne de cacher les chiffres à notre époque », affirme-t-il.  

« Il y a une sous-déclaration massive des décès et des cas », assure pour sa part Sonalika Sahay, 22 ans, étudiante à l’université. « Le gouvernement dit que le taux de positivité baisse et que la situation s’améliore. Comment est-ce possible alors que les cadavres sont jetés dans les rivières par dizaines ? », interroge-t-elle.

« En Inde, nous ne combattons pas seulement une pandémie, mais aussi une sérieuse bataille sur les données, le partage des données et la transparence », a déclaré à l’AFP Rijo M. John, économiste et chercheur en santé publique.  

Selon M. Bhan, il est impératif que les autorités dressent un tableau fidèle de la situation, des données inexactes entravent l’appréhension de la pandémie par la population et le gouvernement.  

« Si vous n’avez pas une bonne maîtrise des données, vous ne pouvez pas lancer une réponse efficace », explique M. Bhan.